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Columelle avait écrit : Oculi et vestigia domini res in agro saluberrima. Magon allait plus loin, quand il disait : Celui qui achète des champs doit vendre sa maison de la ville. Théron de Montaugé insiste beaucoup, dans ses écrits, sur la nécessité, pour l’agriculteur, de surveiller lui-même les opérations qui s’exécutent sur son domaine.

Le parallèle qu’il établit dans un de ses Mémoires les plus remarquables, entre le paysan riche et le bourgeois, est saisissant de vérité.

Le premier, dit-il, s’il n’a pas commencé sa fortune, l’a assurément augmentée. Son activité infatigable, sa méfiance toujours en éveil, la simplicité de ses goûts, la frugalité de ses habitudes, l’esprit d’ordre et d’économie qu’il apporte en toutes choses, lui permettent de traverser les plus mauvaises années sans entamer son fonds. Il trouve toujours le moyen de faire quelques réserves, et bien qu’à son entrée dans la carrière, le dessein de conserver intact l’héritage paternel lui ait fait contracter des dettes envers ses co-partageants, il les a soldées et n’a pas tardé à devenir rentier à son tour, sans renoncer pour cela à la vie des champs qu’il n’abandonnera jamais. Malheureusement, chez lui, l’instruction, même professionnelle, n’est pas aussi développée que l’esprit d’observation et le jugement. C’est là son principal défaut.

Au contraire, chez le bourgeois plus ou moins stylé et blasonné qui possède la métairie voisine, il y a plus de goût pour les choses de l’esprit et des habitudes plus raffinées. On y subit davantage l’empire des conventions sociales et de la mode. Sans doute, on aime l’agriculture, et l’on s’y adonne parfois avec passion, mais on fait moins par soi-même que le paysan, et, quoiqu’on soit plus instruit, il est rare qu’on réussisse mieux. On s’attache de bon cœur à son domaine ; mais on lui préfère les plaisirs. Pour rien, par exemple, on ne renoncerait à passer quelques mois dans la grande ville, où les économies de la vie rurale s’engloutissent à vue d’œil. Aussi, que de fois, sous les dehors de l’opulence, est-on réduit à dissimuler la gêne ? Et combien de propriétaires cultivateurs déçus aspirent-ils à faire de leurs enfants… des avocats ? Cependant, parmi les agricul-