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CHAPITRE XII

les aérostats militaires au tonkin.

Nous venons de décrire l’ensemble des appareils et des procédés en usage dans les parcs aéronautiques militaires français et étrangers. Ces descriptions générales pourraient faire croire que l’aérostation militaire n’est encore qu’à l’état d’étude, et qu’elle est dépourvue de toute sanction pratique. Il est donc d’un grand intérêt d’établir que l’aérostation militaire a déjà fait brillamment ses preuves. Nous n’irons pas chercher nos exemples dans les armées anglaise et italienne, qui pourtant ont retiré de réels avantages des ballons, la première au Soudan, la seconde en Abyssinie. Nous parlerons de la campagne exécutée au Tonkin par une section de nos aérostiers militaires. C’est pour notre pays la première page de l’histoire moderne des ballons captifs employés à la guerre, et elle est trop intéressante pour en priver nos lecteurs.

La Revue aéronautique, dans son numéro d’avril 1888, a donné un récit complet du journal des aérostiers français au Tonkin. Ce récit, emprunté par la Revue aéronautique, à la Revue du génie, a été complété par le premier de ces recueils, grâce à des renseignements particuliers. C’est donc à la Revue aéronautique que nous emprunterons ce récit.


« L’héroïque défense que les Pavillons-Noirs opposèrent à Sontay, aux troupes pourtant si énergiquement conduites par l’amiral Courbet, démontra que ce n’étaient plus des bandes indisciplinées de partisans mal armés que nous avions devant nous, mais bien des combattants résolus avec lesquels il fallait compter[1]. Aussi l’envoi de trois généraux avec de sérieux renforts fut-il décidé. On adjoignit à ces troupes une section d’aérostiers et l’établissement de Chalais reçut l’ordre de préparer le matériel nécessaire.

Constitution de la section d’aérostiers. — Les renseignements que l’on possédait sur l’état des routes firent conclure qu’il était impossible d’emmener au Tonkin le matériel roulant réglementaire usité en France. Dans ces conditions, l’emploi d’un ballon cubant près de 600 mètres, destiné à être transporté par des hommes, était impossible, on dut donc recourir à un ballon d’un modèle plus petit. Il fallut, de plus, confectionner des caisses ou cantines, pouvant être facilement transportées par deux ou quatre coolies, et y arrimer tout le matériel. Ces travaux furent poussés à Chalais avec une extrême rapidité et, en moins de quinze jours, tout fut prêt.

Le gaz hydrogène devait être produit par un procédé nouveau qui venait d’être expérimenté à Chalais.

Quelques craintes s’élevaient au sujet du transport, dans les régions tropicales, d’un ballon verni. On craignait notamment que le vernis ne s’altérât pendant la traversée de la mer Rouge. Aussi le ballon ne fut-il pas placé dans les cales, où la température est souvent excessive et où il aurait été difficile de le visiter ; on le déposa sur le pont, dans un coin du roufle de la timonerie, et il ne souffrit aucunement pendant la traversée. On avait eu, il est vrai, le soin de le huiler avant de l’empaqueter et d’interposer entre chaque pli de minces feuilles de papier imbibées d’huile.

Opérations au Tonkin. — Marche sur Bac-Ninh. — À peine débarquée et installée à Hanoï, la section d’aérostiers reçut l’ordre de se préparer à marcher avec les colonnes qu’on allait diriger sur Bac-Ninh. Le départ était primitivement fixé au 7 mars 1884, et le gonflement du ballon eut lieu le 3, quelques ascensions devant être, au préalable, exécutées à Hanoï.

Les premières ascensions étonnèrent profondément la population de la capitale. Tous les indigènes sortirent de leurs cases en poussant des cris d’admiration. Toutefois, comme il arrive d’ordinaire chez ces peuples enfants, ce bel enthousiasme dura peu, et sans chercher autrement à approfondir ce mystère, ils crurent avoir tout expliqué en disant : « Ah ! c’est encore une invention de ces Français ! »

Le départ de Hanoï de la brigade Brière de l’Isle, avec laquelle devaient marcher les aérostiers, fut retardé d’un jour, et, dans la journée du 7, on fit un gonflement partiel pour remédier aux pertes dues aux ascensions. Le 8, au matin, la colonne traverse le fleuve Rouge, la route suivie est un simple sentier souvent occupé par d’immenses banians. Chaque fois qu’un semblable obstacle se présente, il faut le tourner en descendant dans les

  1. La section d’aérostiers comprenait : 2 officiers : M. le capitaine Aron et M. le lieutenant Jullien, 5 sous-officiers, 8 caporaux et 23 sapeurs. Les cadres étaient assez fortement constitués pour pouvoir admettre des auxilaires venus d’autres armes. (Note de la Revue aéronautique).