Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 5.djvu/715

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’après-midi à Boulogne, heureux d’avoir le premier réalisé le passage du détroit de France en Angleterre. »


Le jeune aéronaute avait d’autant plus de mérite à avoir enfin réussi dans une entreprise où tant d’autres avaient échoué avant lui, que, sans fortune, sans appui, fils d’un simple artisan, d’un ferblantier, il s’imposait les plus grandes privations pour construire ses ballons et exécuter ses voyages aériens, et qu’il ne devait qu’à son zèle passionné pour l’aéronautique le succès qui avait couronné sa persévérance et son courage dans la traversée d’Angleterre.

Ajoutons que Lhoste avait réussi à grouper dans un même matériel la plupart des engins et des procédés aéronautiques maritimes décrits ou usités jusqu’alors : le cône-ancre à retournement, de Sivel (1873), ou à soupape, de M. Jovis (1883) ; — le bordage insubmersible de liège, de M. Jobert (1872) ; — : le flotteur expérimenté par Green, Monck Mason, le duc de Brunswick, en 1836, 1851 (flotteurs de bois, puis flotteurs métalliques creux) ; — l’hélice verticale, expérimentée à Bruxelles par Van Hecke (1847) ; — le principe du remplissage automatique et du renversement d’un flotteur allongé (brevet Renoir, 1875) ; — l’emploi d’une voile déviatrice, fondé sur la résistance opposée par la mer au mouvement d’un corps immergé relié à un aérostat (M. Renoir, 1875) ; — enfin le principe de la prise d’eau de mer formant lest, pour compenser les tendances ascensionnelles et prolonger ainsi le séjour de l’aérostat dans l’air (Sivel, 1873 ; Jovis, 1882).

On reprochait seulement au jeune aéronaute son excessive témérité, et d’aucuns lui prédisaient une fin tragique. Ce pressentiment ne devait se réaliser que trop tôt.

Dans son empressement à reprendre la traversée de la Manche, il partit, avec un aérostat en mauvais état et un outillage insuffisant, et il trouva la mort dans cette dernière entreprise, entraînant dans la même destinée un ami qui partageait sa malheureuse confiance et son mépris du danger.


C’est le 13 novembre 1887 qu’eut lieu le départ de Lhoste, accompagné du jeune Mangot, frère du directeur de l’usine à gaz de Montdidier, et du fils d’un agent de change de Paris, M. Archdéacon, âgé de 17 ans.

L’Arago, qui les enleva, était un vétéran qui avait porté différents noms et subi beaucoup de vicissitudes. À ses débuts il s’était appelé le Vercingétorix, puis, après diverses métamorphoses, on l’appela le Torpilleur, et sous ce nom, il traversa la Manche. Enfin il devint l’Arago ; mais à force d’usage, il était extrêmement fatigué, et laissait apparaître bien des avaries à sa fragile enveloppe de soie. Lhoste avait jugé à propos de le munir de deux ballonnets, pour ne pas recourir à la grande soupape, avant l’atterrissage définitif ; ce qui n’était d’aucun avantage et avait l’inconvénient d’offrir à la condensation de la vapeur d’eau au sein des nuages une surface additionnelle inutile, et qui dut même être très nuisible au milieu des nuées pluvieuses qu’ils rencontrèrent.

À 11 heures du matin, l’Arago atterrit près de Quillebeuf. M. Archdéacon descendit, et essaya de dissuader ses deux compagnons de leur dangereuse tentative ; mais il ne put les convaincre. On remplaça le poids du voyageur demeuré à terre par son équivalent de lest, et l’Arago repartit à 11 heures 15, dans la direction de la mer.

À 11 heures 30, on signale son passage près de Harfleur.

À midi 5 minutes une vigie du cap d’Antifer aperçoit l’Arago, et le voit ensuite entrer en mer à midi et demi au-dessus de Saint-Jouin. Elle distingue nettement les aéronautes, et voit l’un d’eux quitter la nacelle, pour monter dans le cercle. Pendant ce temps le ballon variait continuellement