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On a retrouvé tous les objets jetés par Crocé-Spinelli. D’après une lettre du maire de Courmenin (Loir-et-Cher), l’aspirateur, une petite boîte ouatée contenant le spectroscope, une couverture, une bâche, sont tombés dans cette commune, auprès d’une femme et de deux enfants, qui furent effrayés par cette apparition et qui ne virent pas le ballon. Ces objets, pour la plupart, étaient tachés de sang.


L’Ordre républicain de Châteauroux a pu recueillir quelques renseignements qui doivent trouver leur place à côté de ceux fournis par M. Gaston Tissandier.

C’était peu d’instants après la mort de ses deux compagnons. M. Tissandier aperçoit Sivel et Crocé-Spinelli couchés, inertes, dans la nacelle. Il les croit évanouis, il les appelle, les secoue, mais ils restent sans mouvement. Le sang s’échappait de leur nez, de leur bouche, de leurs oreilles. M. Tissandier se souvint alors de cette phrase, dite par Sivel au moment du départ : « Celui-là de nous trois sera heureux qui reviendra ! » L’aéronaute, affolé, ne peut rien pour rappeler ses amis à la vie. Cependant le ballon descend toujours, les plaines défilent sous lui, comme emportées dans une course infernale. La Creuse est franchie. Enfin, la terre est tout proche.

M. Tissandier jette l’ancre, mais sa première tentative reste sans résultat. Le Zénith, après avoir effleuré les arbres du parc de la Barre, vient frapper contre un orme. La secousse est terrible, mais le danger a rendu tout son sang-froid à M. Tissandier. Il monte dans les cordages et crève l’enveloppe du ballon. Pour la seconde fois, il jette l’ancre, voit des hommes courir à lui. Il se précipite hors de la nacelle, pour leur donner plus facilement des instructions qu’ils semblaient ne pas avoir entendues. On se suspend aux cordes, et le Zénith est enfin arrêté aux Néraux, commune de Ciron. Dans la nacelle gisent les deux cadavres de Sivel et Crocé-Spinelli.


M. Tissandier reçut chez M. Henry, fermier, tous les soins qu’exigeait son état. Il est resté sourd pendant quelques heures et a été fortement contusionné.

Voici les notes écrites par M. Tissandier sur son carnet, pendant les premières heures de l’ascension :


« Je reprends la suite de Crocé-Spinelli, pendant qu’il fait ses expériences spectroscopiques. Mes pulsations sont de 110 à la minute. Nous sommes à 3 000 mètres. Notre thermomètre, placé à l’intérieur du ballon, marque 25 degrés au-dessus de zéro dans l’intérieur : 10 degrés au-dessous dans la nacelle. Crocé-Spinelli, tâté, a 120 pulsations. 1 h. 10 m., sommes à 6 000 mètres moins cinq. Nous allons bien… Maintenant, 6 500 mètres. Un peu d’oppression. Mains gelées légèrement… Nous allons mieux… Mains gelées… Crocé souffle. Respirons oxygène dans ballonnets, Sivel et Crocé ferment les yeux… Pâles… Un peu de mieux, même un peu gais. Crocé me dit en riant : « Tu souffles comme un marsouin… » 1 h. 20 m., sommes à 7 000 mètres. Sivel paraît assoupi… Sivel et Crocé sont pâles, 7 400 mètres (sommeil)… 7 500. Sivel jette lest encore… Sivel jette lest. »


Ce sont les derniers mots écrits par M. Tissandier.

Ce peu de mots suffit pour établir qu’avant d’avoir atteint l’altitude de 7 000 mètres les aéronautes auraient dû cesser de jeter du lest, puisque la pâleur et l’assoupissement étaient les précurseurs des graves accidents qui les attendaient.


Quelle est la hauteur maximum à laquelle le Zénith est parvenu ? Nous verrons tout à l’heure, d’après une communication faite par M. Tissandier à l’Académie des sciences, qu’elle a dû être de 8 600 mètres environ.

Que penser maintenant de l’assertion du physicien anglais, M. Glaisher, qui prétend avoir pu atteindre 10 000 ou 11 000 mètres ? La vie est-elle possible dans de pareilles régions, sans un approvisionnement d’oxygène, que n’avait pas M. Glaisher ? Nous ne