Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 5.djvu/639

Cette page a été validée par deux contributeurs.

empêche de prendre toutes les mesures nécessaires à la sécurité d’un voyage aérien. C’est ce que notre savant et courageux confrère ne cessait de répéter aux membres du gouvernement qui avaient décidé de faire partir les ballons la nuit, pour dérober leur départ à l’ennemi.

Le 23 novembre M. W. de Fonvielle devait quitter Paris en ballon, et il fit demander, le matin, aux membres du gouvernement, des dépêches officielles à emporter, ainsi que des sacs de dépêches privées. Mais le tout lui fut refusé, sous le prétexte que, voulant partir de jour, il serait infailliblement pris par les Prussiens. Rolier partant la nuit suivante recevrait, fit-on répondre à M. W. de Fonvielle, le dépôt officiel des messages du gouvernement.

Il arriva tout le contraire de cette prévision. La Ville d’Orléans alla tomber dans des régions hyperboréennes, perdant toutes ses lettres et dépêches, tandis que le ballon de M. W. de Fonvielle descendait tranquillement, le 24 au matin, hors des lignes prussiennes.

Quand il raconte ce triste et fatal épisode de l’histoire des ballons du siège de Paris, et ses conséquences désastreuses pour la France, M. W. de Fonvielle blêmit encore, d’un désespoir patriotique.


Le mois de décembre fut fertile en naufrages aériens. Le 24 novembre, à une heure du matin, M. Buffet partit de la gare d’Orléans, dans le ballon l’Archimède. Il suivit la même direction que Rolier, mais il aperçut la mer au nord de la Hollande, et fut assez heureux pour toucher terre sur le rivage, près de la ville de Castebie.


Le 30 du même mois, un drame épouvantable attendait le Jacquard, qui quitta Paris à 11 heures du soir monté par un matelot, du nom de Prince, qui était seul dans la nacelle. Homme de résolution et d’énergie, il s’était offert comme aéronaute, malgré son inexpérience des voyages aériens.

Lorsqu’il partit, il s’écria, avec enthousiasme : « Je veux faire un voyage immense. On parlera de mon ascension. »

Il s’éleva lentement, par une nuit noire…

Un navire anglais aperçut un ballon, en vue de Plymouth, mais il le perdit de vue, et nul autre ne le signala depuis.

Quelles émotions terribles dut ressentir l’infortuné Prince, avant de trouver la plus horrible des morts ! Seul, du haut des airs, il contemple l’étendue de l’Océan, qui doit fatalement l’engloutir. Il compte les sacs de lest, et ne les sacrifie qu’avec une parcimonie scrupuleuse. Chaque poignée de sable qu’il lance est un lambeau de sa vie qu’il jette à la mer. Arrive enfin le moment suprême, où tout a passé par-dessus bord. Alors, le ballon descend, et se rapproche du gouffre de l’Océan. La nacelle heurte la cime des vagues ; elle glisse à la surface de l’eau, entraînée par l’aérostat flottant, qui, par l’action du vent, se creuse comme une grande voile.

Combien de temps dura cette sinistre traînée ? Elle dut se prolonger jusqu’à ce que la mort eut saisi l’aéronaute, qui succomba à la faim et au froid.

Quel navrant tableau que celui de ce malheureux ballotté sur l’immensité de la mer, et cherchant vainement à apercevoir au loin un navire, qui ne se montre pas, et laisse l’infortuné aux prises avec le désespoir et la mort.


Le jour même de ce sinistre, MM. Martin et Ducauroyeux étaient également poussés vers l’océan Atlantique. Partis de Paris, à minuit, dans le Jules-Favre, ils aperçurent la mer, au lever du jour. Par un hasard providentiel, le vent les poussa au-dessus de la petite île de Belle-Ile-en-Mer, où ils tombèrent, avec une rapidité effrayante. Forcés de subir un traînage