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lest ; mais le ballon reste immobile, le vent le tourmente furieusement, et incline la nacelle vers les flots : ils vont périr !

S’élançant alors vers les sacs de dépêches suspendus au bord extérieur de la nacelle, Rolier coupe la corde qui retenait un des plus gros ; et déchargée subitement d’un poids de 125 kilogrammes, la Ville d’Orléans part avec une telle vitesse que dix minutes après, elle flottait à 4 500 ou 5 000 mètres de hauteur.

Disons, en passant, que ce sac de dépêches fut aperçu par l’équipage du navire que les naufragés avaient reconnu, au loin. Il fut repêché et envoyé en France par le capitaine.

Cependant, l’excessive expansion du gaz dans ces hautes régions menaçait de faire éclater l’enveloppe de soie du ballon. Rolier ouvrit largement l’orifice de l’appendice, pour laisser au gaz un écoulement plus facile.

L’aérostat cessa alors de monter. Le vent le poussait horizontalement, dans la direction de l’est, et l’on parcourait une zone de brouillards, ou plutôt de nuages, tellement épaisse qu’on ne voyait absolument rien autour de soi.

Le ballon continuant à perdre du gaz, Rolier sort de la nacelle, et se tenant aux cordages du filet, il saisit à deux mains l’appendice, et le tord, de façon à empêcher la fuite du gaz. Selon la tension ou l’aplatissement de l’enveloppe, il serrait ou relâchait l’orifice, de manière à se maintenir à la même hauteur ; et il conserva pendant une heure cette pénible position.

Harassé de fatigue et le corps meurtri par les cordages du filet, il redescend dans la nacelle.

Le froid est si vif que les vêtements des deux voyageurs sont raidis par la glace, et qu’ils s’enlèvent le givre du visage, comme ils pourraient le faire sur un carreau de vitre, après une nuit d’hiver. Leurs cheveux et leur barbe sont blancs et hérissés de petits glaçons.

L’aérostat descendait au milieu du brouillard, qui ne les avait pas quittés, et l’on entendait au-dessous un mugissement sinistre. Mais bientôt, ce bruit cessa, et une odeur de soufre brûlé prit les aéronautes à la gorge, au point qu’ils se sentirent à demi asphyxiés. C’était sans doute l’effet de quelque phénomène électrique de l’air, s’accomplissant au milieu des nuages.

Le poids de l’enveloppe de glace qui couvrait le sommet de l’aérostat accélérait sa descente, et faisait craquer l’étoffe, menaçant de l’effondrer. La soie était tendue par le gaz, au point d’éclater. Il fallut encore que Rolier remontât vers l’appendice, pour maintenir ouvert son orifice, et laisser perdre le gaz, afin d’éviter la rupture de l’enveloppe, qui paraissait imminente.

Cependant, le compagnon du courageux Rolier lui signale une tache noire au-dessous de la nacelle. Était-ce encore la mer qui allait les engloutir ? Était-ce la mort qui les attendait ?

Non, c’était la vie !

En effet, la tache s’éclaircissait, et de noire elle devenait verte. C’était une forêt qu’ils avaient sous les pieds : les taches noires qui avaient frappé leurs yeux étaient les pointes des plus hautes branches des sapins. Ce qui se passa en ce moment dans l’âme des deux voyageurs, flottant depuis deux jours entre le ciel et l’eau, entre la clarté et les ténèbres, au milieu des brouillards et des glaçons, avec une fin terrible en perspective, est plus facile à comprendre qu’à exprimer. Depuis trois heures ils attendaient la mort, et la Providence les sauvait !

« Détachez l’ancre, et lancez-la par-dessous, » crie Rolier à son compagnon. Mais, Bezier, blessé à la main, ne peut exécuter l’ordre, et le ballon frappe rudement le sol, puis s’enfonce dans la neige.

Rolier saute hors de la nacelle, mais Bezier ne peut le suivre, et il est traîné sur le sol, tout embarrassé dans les cordages. Il peut