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« Je fis d’abord un savon acide, d’après la méthode indiquée depuis près de trente-huit ans par M. Camini, mais j’employai l’huile d’amandes douces au lieu d’huile d’olives ; je parvins à faire un savon qui, sans se dissoudre précisément dans l’eau, ainsi que l’indique l’auteur italien, s’y délayait assez parfaitement pour former une espèce d’émulsion ; c’est alors que, désirant connaître la modification qu’avait pu éprouver le corps gras dans cette circonstance, je traitai à froid la liqueur acide savonneuse par le sous-carbonate de chaux en excès afin de saturer tout l’acide sulfurique ; j’évaporai le tout avec précaution jusqu’à siccité, et je soumis le résidu à l’action de l’alcool bouillant ; j’obtins une liqueur alcoolique sensiblement acide, et qui, par l’évaporation, laissa un corps gras, dans lequel il me fut impossible de découvrir aucune trace d’acide sulfurique.

« Je répétai l’expérience d’une autre manière. Après avoir saturé à froid, par le sous-carbonate de chaux, la liqueur acide savonneuse, je filtrai et reçus sur le filtre l’excès de sous-carbonate de chaux, la plus grande partie du sulfate formé de la même base, ainsi que le corps gras éliminé : je mis à part la liqueur aqueuse filtrée, pour l’examiner. Ultérieurement, je portai toute mon attention sur le corps gras que j’isolai par l’alcool absolu. Après avoir évaporé la solution alcoolique, j’obtins encore un corps gras acide, dans lequel je ne pus distinguer aucune trace d’acide sulfurique, et en tout semblable au précédent.

« D’après ces expériences, je conclus donc, contre toute attente et à mon grand étonnement, que l’acide sulfurique concentré agissait sur l’huile d’amandes douces, et probablement sur tous les corps gras, d’une manière analogue à celle des alcalis ; et il me parut très-curieux d’avoir obtenu un même résultat par des moyens aussi opposés [1]. »

Les travaux postérieurs de MM. Chevreul et Frémy sur le même sujet, ont donné une sanction définitive et scientifique aux faits antérieurement observés par les chimistes que nous venons de nommer.

Les acides gras, qui sont formés à la suite du traitement des matières grasses par l’acide sulfurique concentré, sont noirs et comme charbonneux. Aussi serait-il très-difficile de purifier ces produits par une opération chimique. Mais si on les place dans un alambic, et qu’on les soumette à la distillation, en ayant le soin de faciliter leur volatilisation par un courant de vapeur d’eau, qui traverse incessamment cette masse, les acides gras se volatilisent parfaitement, grâce au courant continu de vapeur d’eau, qui renouvelle sans cesse pour eux l’espace où ils peuvent se répandre. On obtient donc dans le récipient où les produits de la distillation viennent se condenser et se concréter, des acides gras, oléique, stéarique, etc., qui sont sans couleur et sans odeur sensibles. Ce mélange d’acides gras est soumis ensuite à la pression, comme à l’ordinaire, pour séparer les produits liquides de l’acide gras concret ; et ce dernier peut servir, comme celui qui provient de la saponification calcaire, à confectionner des bougies.

Tel est le procédé pour la préparation des acides gras, que l’on désigne sous le nom de procédé par distillation, ou de préparation par voie sèche. Essayons maintenant de rechercher à qui l’on doit rapporter la découverte de cette méthode.

C’est un fait assez remarquable que le procédé de préparation des acides gras au moyen de la distillation, soit mentionné, du moins en partie, dans le brevet qui fut pris en Angleterre, en 1825, par MM. Chevreul et Gay-Lussac, pour la préparation des bougies stéariques. Nous disons que ce moyen n’est mentionné qu’en partie dans ce brevet. En effet, Gay-Lussac y signale la possibilité d’obtenir les acides gras par distillation, mais il ne dit rien du traitement préalable par l’acide sulfurique. Or, cette opération est la base et le point de départ de ce procédé, car la simple distillation ne pourrait fournir aucun résultat utile, sans l’action préalable de l’acide sulfurique, qui met à nu les acides gras.

Le mérite d’avoir décrit, le premier, une méthode de saponification par l’acide sulfurique, appartient à un industriel anglais, M. George Gwinne, qui exposa avec détails, dans un brevet pris en mai 1840, un procédé consistant à traiter les matières grasses par

  1. Journal de pharmacie, t. X, p. 552-554.