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tion qui va suivre, montrera suffisamment que le fait de la décomposition des corps gras par l’acide sulfurique, avait été signalé par les anciens chimistes.

« Le procédé qui a réussi à M. Achard, pour faire des savons acides en combinant l’acide vitriolique avec les huiles, tant concrètes que fluides, tirées des végétaux par expression ou par ébullition, a consisté à mettre deux onces d’acide vitriolique concentré et blanc dans un mortier de verre, à y ajouter peu à peu, et en triturant toujours, trois onces de l’huile dont il voulait faire un savon, et qu’il avait fait chauffer presque jusqu’à l’ébullition. M. Achard a obtenu par ce procédé, des masses noires, qui, refroidies, avaient la consistance de la térébenthine.

« Suivant la remarque de l’auteur, ces composés sont déjà de véritables savons ; mais, pour les réduire en une combinaison plus parfaite et plus neutre, il faut les dissoudre dans environ six onces d’eau distillée bouillante. Cette eau se charge de l’acide surabondant qui pourrait être (et qui est probablement toujours) dans le savon, et les parties savonneuses se rapprochent par le refroidissement, et se réunissent en une masse brune de la consistance de la cire, qui quelquefois occupe le fond du vase, et quelquefois nage à la surface du fluide, suivant la pesanteur de l’huile qu’on a employée. Si le savon contenait encore trop d’acide, ce que l’on peut facilement distinguer au goût, il faudrait le dissoudre encore une fois dans l’eau distillée bouillante, et réitérer cette opération, jusqu’à ce qu’il ait entièrement perdu le goût acide : de cette manière on obtient un savon dont les parties composantes sont dans un état réciproque de saturation parfaite.

« M. Achard remarque encore, que l’acide vitriolique concentré agit très-fortement sur les huiles, et avertit qu’il faut avoir attention de ne pas y ajouter l’huile trop subitement et en trop grande quantité, parce que dans ce cas l’acide devient trop fort, décompose l’huile, et la change en une substance charbonneuse ; on s’aperçoit de cette décomposition à l’odeur d’acide sulfureux volatil qui s’en dégage.

« Lorsque ces savons sont faits avec exactitude, ajoute M. Achard, ils se durcissent en vieillissant ; mais s’ils contiennent de l’acide surabondant, ils s’amollissent à l’air, parce qu’ils prennent l’humidité.

« Ce chimiste a composé des savons acides vitrioliques par ce procédé, avec diverses huiles, telles que celles d’amandes douces, d’olives, de beurre de cacao, la cire, le blanc de baleine, l’huile d’œuf par expression…

« L’auteur avertit que la trop grande chaleur occasionne la décomposition de l’huile par l’acide vitriolique, et la convertit en un corps demi-charbonneux et demi-résineux ; ce qu’on reconnaît toujours, comme dans les mélanges du même acide avec les mêmes huiles non volatiles, à l’odeur d’acide sulfureux volatil, qui ne manque pas de se faire sentir quand l’acide agit sur l’huile jusqu’à la décomposer : c’est là la raison de toutes les précautions de refroidissement qu’il faut prendre lorsqu’on fait ces combinaisons, et qu’il faut porter jusqu’à ne point faire bouillir l’eau qu’on ajoute au savon après qu’il est fait, pour lui enlever ce qu’il contient d’acide surabondant…

« On ne peut douter, comme le dit fort bien l’auteur, que toutes ces combinaisons d’acide vitriolique et de différentes espèces d’huiles, ne soient de vrais composés savonneux, des savons acides bien caractérisés, quand la combinaison a été bien faite : car il s’est assuré par l’expérience qu’il n’y a aucun de ces composés qui ne soit entièrement dissoluble, soit par l’eau, soit par l’esprit de vin, et décomposable par les alcalis fixes ou volatils, par les terres calcaires, par plusieurs matières métalliques. Toutes substances qui s’emparent de l’acide vitriolique de ces savons, forment avec lui les nouveaux composés qui doivent résulter de leur union réciproque, et dégagent l’huile, de même que les acides séparent celle des savons alcalins[1]. »

Plus tard, en 1821, quand la véritable nature des corps gras eut été dévoilée par les travaux de M. Chevreul, M. Caventou signala le premier, l’analogie que présente l’action de l’acide sulfurique sur les graisses, avec celle que les alcalis exercent sur le même groupe de corps.

Voici comment s’exprimait à cet égard M. Caventou, dans une Lettre adressée à M. Boullay, rédacteur du Journal de Pharmacie, relativement à la priorité de la découverte de l’acidification des corps gras par l’acide sulfurique concentré :

«… Je désirais ardemment, dit M. Caventou, étudier quels phénomènes pouvaient se passer dans cette opération et produire un tel résultat, car, d’après les nombreux travaux de M. Chevreul sur la saponification des corps gras par les alcalis, il m’était impossible de me satisfaire par une explication convenable à l’égard de la saponification par l’acide sulfurique ; ce n’est cependant qu’en février 1821 que je pus faire les premières expériences propres à m’éclairer sur cet objet.

  1. Macquer, Dictionnaire de chimie, t. II, in-4, p. 358-361.