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la longueur des intervalles capillaires ; nous fûmes ainsi conduit, dix-huit mois après les premiers essais, à imbiber les mèches dans une dissolution acide, telle que l’alcool ayant quelques gouttes d’acide sulfurique, pour rendre leur carbonisation immédiate aux premières impressions de la chaleur, et dès ce moment toutes les difficultés de combustion furent levées dans la pratique.

« On conçoit, du reste, pourquoi il est nécessaire de charbonner ainsi la mèche. Dans l’acte de la saponification, le principe colorant, inhérent à la partie huileuse du corps gras, absorbe plus ou moins d’eau. Cette eau, ainsi fixée dans les acides gras, forme un composé qui brûle avec émulsion en montant le long des fils de la mèche. Dès lors ces fils, dans la partie supérieure, n’étant pas entièrement imbibés, se rapprochent les uns des autres par l’effet de la chaleur résultant en partie de leur combustion ; car on sait que les substances végétales, une fois enflammées, développent par leur propre combustion la chaleur nécessaire pour que le phénomène continue, pourvu qu’elles aient le contact de l’air. La mèche, ainsi brûlée dans sa partie supérieure, ne suffit plus au tirage du liquide ; et de là la combustion imparfaite des bougies d’acide stéarique. Mais si, avant d’allumer ces bougies, on charbonne rapidement les fils de la mèche sans altérer leur forme, la vive combustion de cette mèche ne peut plus avoir lieu ; par conséquent le resserrement des fibres charbonnées n’est plus possible au même degré, et les canaux capillaires étant conservés, l’ascension du liquide n’éprouve plus d’obstacle.

Cette prompte carbonisation de la mèche a lieu naturellement lorsqu’on allume une bougie, parce que la mèche est soumise d’abord à l’action de la chaleur sans être encore imbibée de liquide. C’est ce qui explique pourquoi, dans cette circonstance, avec une mèche ordinaire, les effets de combustion avec jets de lumière et écoulement de liquide sont retardés. Elle est favorisée en partie par les tissus ou les fils fortement tordus, qui sont moins imbibés par les corps gras que les mèches ordinaires, et qui s’opposent d’ailleurs à un resserrement trop inégal des fils le long de la partie de la mèche où s’opère la combustion, ou, ce qui revient au même, sont brûlés moins facilement que les fils des mèches ordinaires.

« On a substitué plus tard, dans la préparation des mèches, à l’acide sulfurique divers acides, et en dernier lieu, l’acide borique qu’on emploie aujourd’hui généralement partout. L’acide borique et tous ses analogues, tels que l’acide arsénieux, etc., agissent d’une manière différente de celle de l’acide sulfurique. Ce n’est pas en charbonnant rapidement la mèche au moment de la combustion qu’ils s’opposent au resserrement des fils de la partie supérieure de cette mèche ; c’est en rendant le coton moins combustible qu’ils empêchent la destruction trop rapide de cette partie supérieure. On remarque, en effet, que le coton imbibé d’acide borique brûle sans flamme, et en se charbonnant seulement. Il en est de même, si l’on trempe ce coton dans une dissolution d’un sel, tel que le sel marin, le chlorure de chaux, etc. Peut-être aussi que ces substances donnent aux fils d’une mèche imbibée, de la roideur et de la fixité, et qu’elles maintiennent ainsi les canaux capillaires : c’est une espèce d’apprêt que recevraient les fils de cette mèche. Mais elles agissent surtout en retardant la combustion du coton, qui se charbonne à sa partie supérieure sans brûler avec flamme. Ainsi l’action de ces acides solides, qu’une fausse analogie a fait substituer à l’acide sulfurique, est tout à fait différente de celle de ce dernier acide.

« La courbure que prend la mèche tressée pendant la combustion, et qui est nécessaire pour que cette mèche sortant de la flamme soit frappée par l’air et réduite en cendres, est due à l’enlacement des brins de fil les uns dans les autres ; mais au premier abord on ne voit pas très-bien comment l’inflexion se produit. En examinant attentivement la tresse à trois brins, par exemple, la plus simple de toutes, et celle dont on fait usage pour les mèches des bougies, on remarque que sur chacune des deux faces les brins forment une série d’angles dont les côtés sont parallèles, et présentent, dans l’une, leurs sommets en bas comme des V, et dans l’autre, leurs sommets en haut comme des V renversés (V). Sur cette dernière face, si l’on considère les côtés parallèles à droite ou à gauche de l’axe, il est facile de voir qu’ils sont formés par des brins dont le supérieur est croisé par l’inférieur, et peut, par conséquent, tourner autour de lui comme autour d’un point fixe, tandis que sur l’autre face le brin supérieur s’enroule bien autour de l’inférieur, mais c’est en passant de l’autre côté de l’axe. Il en résulte qu’il est tout à fait indépendant du brin parallèle, qui est placé immédiatement au-dessous de lui, et qu’il ne peut tourner autour de ce brin, comme autour d’un point fixe au moment de la combustion. La mèche, en brûlant, doit donc s’incliner du côté de l’autre face, c’est-à-dire du côté où l’on remarque les V renversés »[1].

M. J. de Cambacérès avait donc découvert la meilleure mèche à adapter aux bougies composées d’acide stéarique. Cependant, il ne put, comme nous l’avons dit, parvenir à trouver un procédé régulier pour la fabrication des acides gras. Il n’alla pas plus loin dans cette direction que MM. Chevreul et Gay-Lussac.

  1. Mémoire sur l’application des acides gras à l’éclairage. (Comptes rendus de l’Académie des sciences, janvier 1858.)