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planète hypothétique encore plus éloignée, et que, par une prévision qu’il est permis de trouver anticipée, il désigna sous le nom d’Hypérion. Il n’y avait rien dans cette idée qui pût éveiller de grands débats ; c’était une simple vue de l’esprit qu’à tout prendre on pouvait discuter, bien que, pour le dire en passant, la plupart de nos géomètres s’accordent à repousser comme théoriquement inadmissible l’hypothèse de M. Babinet, car l’action de deux planètes ne saurait être remplacée par celle d’une troisième située à leur centre de gravité comme il le dit en termes formels. Le travail de M. Babinet aurait donc passé sans exciter d’émotion particulière, si les termes qu’il employa dans son mémoire, n’étaient venus donner le change à l’esprit du public. Voici, en effet, comment débute le mémoire de M. Babinet :

« L’identité de la planète Neptune avec la planète théorique, qui rend compte si admirablement des perturbations d’Uranus, d’après les travaux de MM. Le Verrier et Adams, mais surtout d’après ceux de l’astronome français, n’étant plus admise par personne depuis les énormes différences constatées entre l’astre réel et l’astre théorique, quant à la masse, à la durée de la révolution, à la distance au soleil, à l’excentricité et même à la longitude, on est conduit à chercher si les perturbations d’Uranus se prêteraient à l’indication d’un second corps planétaire voisin de Neptune… »

Si M. Babinet se fût borné à constater les désaccords qui existent entre la masse, la distance et l’orbite de Neptune, fournis par l’observation directe, et ces mêmes éléments déduits du calcul par M. Le Verrier, il n’aurait fait que rappeler des faits incontestables. Mais l’ambiguïté de sa rédaction donna lieu aux interprétations les plus fâcheuses, et sur la foi de sa grave autorité, des critiques sans fin contre la découverte de M. Le Verrier firent tout d’un coup irruption. Nous ne nous arrêterons pas à la niaiserie de certains journaux qui ont tout bonnement prétendu que la planète Neptune n’existe pas. Mais il importe d’examiner en quelques mots les critiques plus sérieuses et mieux fondées en apparence, qui ont été dirigées, à cette occasion, contre le travail de M. Le Verrier.

On ne peut nier qu’il n’existe une différence entre la position vraie de Neptune et celle que le calcul lui avait assignée. Mais pouvait-il en être autrement ? M. Le Verrier a découvert cette planète par un moyen détourné et sans l’avoir vue ; il était donc impossible qu’il fixât sa place avec la précision de l’observation directe ; tout ce qu’il a prétendu faire et tout ce qu’on pouvait espérer, c’était de déterminer sa situation dans le ciel avec assez d’exactitude pour qu’on pût la chercher et la découvrir. Demander en pareille matière une précision absolue, c’est évidemment exiger l’impossible : « Dirigez l’instrument vers tel point du ciel, a dit M. Le Verrier, la planète sera dans le champ du télescope. » Elle s’y est trouvée ; que demander de plus ?

Mais, ajoute-t-on, M. Le Verrier s’est trompé sur la distance de Neptune, puisque, au lieu d’être actuellement, comme il l’a dit, de trente-trois fois la distance de la terre au soleil, elle n’est que trente fois cette distance. Est-ce là une erreur bien notable ? Sans doute, si, dans le but de frapper l’imagination, on exprime cette différence en lieues ou en kilomètres, on arrivera à un nombre effrayant ; mais cette manière d’argumenter manque évidemment de bonne foi. Comme l’étendue de notre système solaire est immense relativement à notre globe, et relativement à la petitesse des unités adoptées pour nos mesures linéaires, la moindre erreur dans leur évaluation se traduit par des nombres énormes, de telle sorte que le reproche qu’on fait pour Neptune pourrait s’appliquer à tous les travaux astronomiques qui ont eu pour objet la détermination de la distance des astres. Considérons, par exemple, la distance de la terre au soleil, dont la détermination a coûté de si longues recherches. La mesure de cet élément fondamental a présenté, entre les mains