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acide gras, un mélange d’oléate et de stéarate de soude.

Puisque l’on donne naissance à de l’acide stéarique, c’est-à-dire au principe solide du suif, par la saponification des corps gras, il suffit d’exécuter cette opération pour préparer industriellement de l’acide stéarique applicable à l’éclairage. En saponifiant le suif à l’aide d’un alcali, tel que la potasse, la soude ou la chaux, et décomposant ensuite ce savon par un acide minéral, on peut mettre en liberté les acides stéarique et oléique, c’est-à-dire le produit solide et le produit liquide qui existent dans le suif. En séparant ensuite, ce qui n’offre aucune difficulté, l’acide stéarique solide, de l’acide oléique, qui est liquide, on peut consacrer l’acide stéarique à la confection des bougies.

Par cette série d’inductions théoriques, on était donc conduit à créer une branche toute nouvelle d’industrie, la fabrication de bougies composées d’acide stéarique offrant tous les avantages que l’on cherchait dans les bougies de cire.

Cette conclusion ne pouvait échapper à l’auteur de ces découvertes. Aussi M. Chevreul se mit-il en devoir d’appliquer à l’éclairage le résultat de ses observations scientifiques.

M. Chevreul avait commencé, en 1813, à publier ses travaux sur les corps gras. Ses mémoires sont au nombre de huit, et le dernier parut en 1823. C’est aussi en 1823 que fut publié l’ouvrage intitulé Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale, qui résumait dix années de travaux. Deux ans après, au mois de janvier 1825, M. Chevreul prenait, de concert avec Gay-Lussac, des brevets, en France et en Angleterre, pour l’application des acides gras à la fabrication des bougies. Le contenu de ces brevets témoigne des prévisions habiles et de la sagacité des deux auteurs, qui comprirent dans la spécification de leurs procédés, une foule de moyens, dont plusieurs sont restés infructueux ou sans application, mais dont un grand nombre, modifiés par l’expérience et la pratique, ont trouvé place dans les opérations manufacturières.

Cependant, entre une donnée scientifique et son application efficace à l’industrie, il existe un intervalle immense, et les qualités du savant sont loin d’être une garantie de réussite dans une opération industrielle. L’échec complet qu’éprouvèrent MM. Gay-Lussac et Chevreul, dans leur essai de fabrication des acides gras, serait une preuve suffisante de cette vérité, si elle avait besoin de démonstration. Conformément à leur brevet, MM. Gay-Lussac et Chevreul entreprirent de saponifier le suif par la soude ; ils décomposaient ensuite par l’acide chlorhydrique le savon ainsi formé. Indépendamment de la pression employée pour séparer les acides concrets de l’acide oléique, on faisait usage d’alcool, pour enlever ce dernier acide. De tels moyens n’avaient rien de manufacturier, aussi ne purent-ils être mis en œuvre industriellement.

Peu de temps après, un autre essai fut tenté pour la fabrication industrielle des acides gras, par un ingénieur des ponts et chaussées, M. Jules de Cambacérès, qui fut plus tard préfet du département du Bas-Rhin. Le père de M. de Cambacérès était à la tête d’une manufacture pour l’éclairage. S’inspirant des leçons et des conseils de MM. Chevreul et Gay-Lussac, le jeune ingénieur voulait obtenir l’honneur d’appliquer à l’industrie les données récemment acquises à la science.

Mais cette tentative n’eut aucun succès. Elle fut, de la part de son auteur, plutôt un essai de fabrication sur une petite échelle, qu’une fabrication manufacturièrement organisée. Ses procédés pratiques demeurèrent à l’état d’ébauche. À l’exemple de MM. Chevreul et Gay-Lussac, M. de Cambacérès saponifiait le suif par un alcali caustique. Ses bougies étaient d’une couleur jaunâtre, qui provenait en partie de l’impureté de l’acide stéa-