Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/717

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sante pour expliquer les mouvements de cet astre, et que l’on ne parviendrait jamais à représenter sa marche, si l’on n’avait égard à d’autres causes. Ainsi ce n’était plus désormais dans les erreurs des géomètres, mais bien dans le ciel même qu’il fallait chercher la clef des anomalies d’Uranus. Une carrière nouvelle s’ouvrait donc devant M. Le Verrier ; il s’y engagea sans retard, et le 1er juin 1846 il exposait à l’Académie des sciences le résultat de ses admirables calculs.

Nous avons déjà vu que, pour expliquer les perturbations d’Uranus, les astronomes avaient mis en avant un grand nombre d’hypothèses. On avait songé à la résistance de l’éther, à un satellite invisible, à une planète encore inconnue ; enfin on était allé jusqu’à redouter qu’à la distance énorme de cette planète, la loi de la gravitation ne perdît quelque chose de sa rigueur. Au début de son mémoire, M. Le Verrier passe en revue chacune de ces hypothèses, et il montre que la seule idée à laquelle on puisse logiquement s’attacher, c’est l’existence dans le ciel d’une planète encore inconnue.

« Je ne m’arrêterai pas, dit M. Le Verrier, à cette idée que les lois de la gravitation pourraient cesser d’être rigoureuses, à la distance du soleil où circule Uranus. Ce n’est pas la première fois que, pour expliquer les anomalies dont on ne pouvait se rendre compte, on s’en est pris au principe de la gravitation. Mais on sait aussi que ces hypothèses ont toujours été anéanties par un examen plus profond des faits. L’altération des lois de la gravitation serait une dernière ressource à laquelle il ne serait permis d’avoir recours qu’après avoir épuisé les autres causes, et les avoir reconnues impuissantes à produire les effets observés.

« Je ne saurais croire davantage à la résistance de l’éther, résistance dont on a à peine entrevu les traces dans le mouvement des corps dont la densité est la plus faible, c’est-à-dire dans les circonstances qui seraient les plus propres à manifester l’action de ce fluide.

« Les inégalités particulières d’Uranus seraient-elles dues à un gros satellite qui accompagnerait la planète ? Ces inégalités affecteraient alors une très-courte période ; et c’est précisément le contraire qui résulte des observations. D’ailleurs le satellite dont on suppose l’existence devrait être très-gros et n’aurait pu échapper aux observateurs.

« Serait-ce donc une comète qui aurait, à une certaine époque, changé brusquement l’orbite d’Uranus ? Mais alors la période des observations de cette planète de 1781 à 1820 pourrait se lier naturellement, soit à la série des observations antérieures, soit à la série des observations postérieures ; or, elle est incompatible avec l’une et l’autre.

« Il ne nous reste ainsi d’autre hypothèse à essayer que celle d’un corps agissant d’une manière continue sur Uranus, et changeant son mouvement d’une manière très-lente. Ce corps, d’après ce que nous connaissons de la constitution de notre système solaire, ne saurait être qu’une planète encore ignorée. »

M. Le Verrier démontre, dans la suite de son mémoire, que cette hypothèse explique numériquement tous les résultats de l’observation, et il établit, d’une manière irrécusable, l’existence d’une planète, jusqu’alors inconnue, et qui trouble, par son attraction, les mouvements d’Uranus. Mais par quels moyens M. Le Verrier a-t-il été conduit à un résultat si remarquable, et sur quels faits a-t-il appuyé ses calculs ?

Il ne savait rien sur la masse de la planète perturbatrice, ni sur l’orbite qu’elle décrivait ; il était donc nécessaire d’établir quelque hypothèse qui pût servir de point de départ au calcul. Pour donner à la planète inconnue une place approximative, M. Le Verrier eut recours à une loi célèbre en astronomie. On sait que les distances des planètes au soleil sont à peu près doubles les unes des autres ; cette relation purement empirique, et dont la cause physique est d’ailleurs inconnue, porte le nom de loi de Bode ou de Titius. Kepler avait déjà signalé, entre les distances des planètes au soleil, un rapport de ce genre, et il avait été amené, par cette remarque, à indiquer entre Mars et Jupiter l’existence d’une lacune ou de ce qu’il nommait un hiatus. La patience et la sagacité des astronomes modernes ont confirmé cette conjecture hardie, en faisant découvrir dans cet espace, et aux places indiquées par la loi de