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sûre dans ses procédés, c’était là un fait d’une gravité extraordinaire. Aussi eut-on recours, pour l’expliquer, à toutes les hypothèses possibles. On songea à l’existence d’un certain fluide, l’éther que l’on croit répandu dans l’espace, et qui troublerait, par sa résistance, les mouvements d’Uranus. On parla d’un gros satellite qui le suivrait, ou bien d’une planète encore inconnue dont l’action perturbatrice produirait les variations observées ; on alla même jusqu’à supposer qu’à la distance énorme du soleil (près de sept cents millions de lieues) où se trouve Uranus, la loi de la gravitation universelle pourrait perdre quelque chose de sa rigueur ; enfin, une comète n’aurait-elle pu troubler brusquement la marche d’Uranus ? Mais ces diverses hypothèses n’étaient appuyées d’aucune considération sérieuse, et personne ne songea à les soumettre au calcul. En cela, du reste, chacun suivait le penchant de son imagination, sans invoquer d’arguments bien positifs. On ne pouvait penser sérieusement à entreprendre un travail mathématique dont les difficultés étaient immenses, dont l’utilité n’était pas établie, et dont on ne possédait même pas les éléments essentiels. C’est en cet état que M. Le Verrier trouva la question.

M. Le Verrier n’était alors qu’un jeune savant assez obscur ; il était simple répétiteur d’astronomie à l’École polytechnique. Cependant son habileté dans les hauts calculs était connue des géomètres, et les recherches qu’il avait publiées en 1840 sur les perturbations et les conditions de stabilité de notre système planétaire, avaient donné une haute opinion de son aptitude à manier l’analyse mathématique. C’est sur cette assurance qu’Arago conseilla, en 1845, au jeune astronome d’attaquer par le calcul la question des perturbations d’Uranus. C’était là un travail effrayant par ses difficultés et son étendue ; une partie de la vie de Bouvard s’y était consumée sans résultat. Mais l’astronomie est aujourd’hui une science si avancée et si parfaite, qu’elle n’offre qu’un bien petit nombre de ces grands problèmes capables de séduire l’imagination et d’entraîner les jeunes esprits ; il y avait au contraire au bout de celui-ci une perspective toute brillante de gloire : M. Le Verrier se décida à l’entreprendre.

La première chose à faire, c’était de reprendre dans son entier le travail de Bouvard, afin de reconnaître s’il n’était pas entaché d’erreurs. Il fallait s’assurer, en remaniant les formules, en poussant plus loin les approximations, en considérant quelques termes nouveaux, négligés jusque-là, si l’on ne pourrait pas réconcilier l’observation avec la théorie, et expliquer, à l’aide de ces éléments rectifiés, les mouvements d’Uranus par les seules influences du soleil et des planètes agissant conformément au principe de la gravitation universelle. Telle fut la première partie du travail accompli par M. Le Verrier ; elle fut l’objet d’un mémoire étendu qui fut présenté à l’Académie des sciences le 10 novembre 1845. L’habile géomètre établissait, par un calcul rigoureux et définitif, quelles étaient la forme et la grandeur des termes que les actions perturbatrices de Jupiter et de Saturne introduisent dans l’expression algébrique de la position d’Uranus. Il résultait déjà de cette révision analytique qu’on avait négligé dans les calculs antérieurs des termes nombreux et très-notables, dont l’omission devait rendre impossible la représentation exacte des mouvements de la planète. M. Le Verrier reconnut ainsi que les tables données par Bouvard étaient entachées d’erreurs qui viciaient l’ellipse théorique d’Uranus, à tel point que, par cela seul, et indépendamment de toute autre cause, les tables construites avec des éléments aussi imparfaits ne pouvaient en aucune manière concorder avec l’observation. Ainsi furent mises en évidence les inexactitudes qui affectent les calculs de Bouvard.

Cette révélation, pour le dire en passant, étonna beaucoup les astronomes ; mais peut-