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LA PLANÈTE NEPTUNE

La science, comme la guerre, a ses actions d’éclat. L’histoire des travaux de l’esprit humain nous fournit quelques exemples de ces sortes de hauts faits scientifiques dans lesquels la grandeur de la découverte, l’imprévu de ses résultats, l’étendue de ses conséquences, les difficultés qui l’environnaient, tout semble se réunir pour confondre l’esprit du vulgaire et arracher à l’homme éclairé un cri d’enthousiasme. Telle fut l’impression que produisirent en 1687 les recherches de Newton, résumées dans son immortel ouvrage, Principes mathématiques de philosophie naturelle. Lorsque, étendant les lois de la gravitation à toutes les particules matérielles de l’univers, Newton démontra pour la première fois que les astres circulent dans leur orbite et que les corps qui tombent à la surface de la terre obéissent à une commune loi, ce fut, selon l’expression de Biot, avec une admiration qui tenait de la stupeur, que l’on vit de tels sujets et en si grand nombre, soumis au calcul par un seul homme. C’est avec un sentiment à peu près semblable qu’a été accueillie, de nos jours, la découverte de l’éthérisation, qui réalisa en un moment le rêve de vingt siècles.

De tels triomphes sont utiles et presque nécessaires pour entretenir la juste considération que l’on doit aux sciences. Nous sommes très-disposés, sans doute, à confesser l’importance des recherches scientifiques, mais il n’est pas hors de propos que, par intervalles, quelques faits éclatants viennent justifier cette confiance en quelque sorte instinctive, et nous fournir un témoignage visible de l’utilité de certains travaux dont les applications sont difficiles à saisir au premier aperçu. Rien n’a mieux servi à ce titre les intérêts et l’honneur des sciences que la découverte de la planète Neptune. L’histoire conserve avec orgueil les noms de quelques astronomes heureux qui reconnurent dans le ciel l’existence de planètes jusqu’alors ignorées ; mais ces découvertes n’avaient en elles-mêmes rien d’inusité ni d’insolite, elles ne sortaient pas du cadre de nos moyens habituels d’exploration ; le perfectionnement des instruments d’optique y joua le premier et quelquefois l’unique rôle. Les planètes Uranus, Cérès, Pallas, Vesta, Junon, Astrée, ont été reconnues en étudiant avec le télescope les diverses plages célestes. C’est par une méthode différente et bien autrement remarquable que M. Le Verrier a procédé. Il n’a pas eu besoin de lever les yeux vers le ciel. Sans autre secours que le calcul, sans autre instrument que sa plume, il a annoncé l’existence d’une planète nouvelle qui circule aux confins de notre univers, à douze cents millions de lieues du soleil. Non-seulement il a constaté son existence, mais il a déterminé sa situation absolue et les dimensions de son orbite, évalué sa masse, réglé son mouvement et assigné sa position à une époque déterminée ; de telle sorte que, sans avoir une seule fois mis l’œil à une lunette, sans avoir