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puits de Djama ; elle s’élève jusqu’à 12 grammes, dans les eaux du forage de Bram. Les chlorures de sodium et de magnésium, les sulfates de soude, de magnésie et de chaux, sont les sels dominants ; ils donnent à l’eau une saveur fortement salée et amère.

De telles eaux seraient dédaignées par des Européens ; mais les Arabes s’en contentent, et elles sont loin de nuire aux palmiers et aux autres végétaux des oasis. Il est à remarquer, du reste, que les puits ordinaires fournissent, sur certains points, des eaux moins chargées de matières salines, et par conséquent plus potables que celles qui coulent des puits artésiens.

Est-il nécessaire de dire maintenant qu’en dotant les déserts du Sahara de sources d’eau plus ou moins pures, on a fait naître l’activité et la vie dans des régions jusque-là mornes et arides ? Dans les cinq années qui se sont écoulées depuis le commencement des travaux jusqu’à l’année 1860, 30 000 palmiers et 1 000 arbres fruitiers furent plantés ; de nombreuses oasis se relevèrent de leurs ruines et deux villages furent créés dans le désert.

La plupart des oasis du Sahara ne doivent, en effet, leur existence qu’aux puits creusés par les indigènes, ou à quelques sources qui s’échappent naturellement du sol. Sans eau, la vie est impossible au désert ; quand une source tarit, un centre de population disparaît. « Le palmier, disent les Arabes, vit le pied dans l’eau et la tête dans le feu. » Privé d’eau, cet arbre périt, et il entraîne avec lui des cultures qui ne sont possibles que sous son ombre. Les ruines éparses dans le Sahara attestent l’existence de villages, et même de villes importantes, dont la destruction n’eut pas d’autre cause que l’arrêt accidentel des sources qui les alimentaient autrefois.

M. le général Desvaux s’exprime ainsi, dans le rapport que nous avons déjà cité, au sujet de l’influence qu’a exercée sur la civilisation des tribus nomades, le forage de quelques puits dans le Sahara oriental :

« Les forages artésiens ont donné lieu à un fait des plus importants, à une révolution remarquable dans la constitution de la société arabe. La fraction des Selmia, les nomades par excellence, se fixant à Oum-el-Thiour, témoigne des idées nouvelles introduites dans l’esprit des tribus du Sahara et de la possibilité de leur transformation. Le développement de la race européenne dans le Tell forcera à restreindre un jour ces émigrations périodiques des nomades qui, traînant à leur suite famille et troupeaux, causent sur leur passage une véritable perturbation ; on pourra alors les établir dans les oasis nouvelles. Depuis la conquête de l’Afrique, ces grandes tribus arabes avaient conservé avec pureté la langue et les mœurs de leurs ancêtres ; rien n’avait pu les faire renoncer aux habitudes de la vie de pasteur ; il a suffi de quelques années de la domination française, de quelques puits artésiens pour faire brèche à une civilisation séculaire, aux instincts d’une race immuable, malgré ses déplacements fréquents. Le progrès matériel a été suivi du progrès moral. »

Dans son mémoire sur les Sondages artésiens du Sahara, publié en 1859, et que nous avons cité plus haut, M. Charles Laurent parlait du fait singulier de l’existence de certains poissons dans les eaux lancées par les puits artésiens du désert. M. le lieutenant Zickel a recueilli et envoyé à la Société industrielle de Mulhouse, plusieurs de ces poissons provenant d’un puits foré à 12 kilomètres au nord de Touggourt, et qui, venant d’une profondeur de 45 mètres, fournit 2 800 litres d’eau par minute. Ces poissons sont longs de 4 à 5 centimètres.

Comment des eaux souterraines peuvent-elles renfermer de tels habitants ? Dans les nappes profondes qui alimentent ces puits, existe-t-il des canaux assez vastes et assez bien aérés pour que les poissons puissent y vivre ? Est-ce à l’état de frai que l’eau les rejette, et leur reproduction ne se ferait-elle que dans l’eau parvenue dans notre atmosphère ? Les renseignements manquent sur ce point curieux et nouveau de l’histoire de l’intérieur de notre globe. Tout ce que nous dit M. Zickel,