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retiré aucun profit de leurs travaux. M. Franchot céda, pour une somme de 10 000 francs son brevet d’invention de la lampe à modérateur à un lampiste, M. Jac, qui, associé avec M. Hadrot, réalisa plus d’un million de bénéfices en fabriquant et vendant la nouvelle lampe pendant toute la durée du brevet de M. Franchot. Ce dernier, avons-nous dit, obtint de l’Académie des sciences, en 1854, le prix de mécanique, récompense de 1 500 francs, insignifiante par sa banalité, et ce fut tout. Quant aux autres inventeurs qui avaient précédé M. Franchot et lui avaient préparé la voie, MM. Astéar, Joanne, Mallebouche, Allard, leur nom ne fut pas prononcé à l’Académie, et le public ne les connaît même pas aujourd’hui.

C’est là, d’ailleurs, l’éternelle histoire des inventeurs dans la société moderne. C’est un fait inouï que l’auteur d’une découverte importante pour l’avenir et le progrès de l’humanité, en ait retiré le moindre avantage. La calomnie, la persécution, la misère, lui font expier le tort qu’il a eu d’être utile à ses semblables.

Ces réflexions attristantes nous viennent en repassant dans notre esprit l’histoire des principales inventions qui ont été accomplies depuis la fin du dernier siècle, dans l’art de l’éclairage. Nous avons vu Argand, le créateur de la lampe moderne, épuiser ses forces en luttes inutiles contre les contrefacteurs, puis être obligé d’aller vivre à l’étranger pour y continuer l’exploitation de sa découverte, enfin, aux derniers jours de son existence, perdre la raison. Nous avons vu Carcel mourir pauvre et peu connu. Les inventeurs de la lampe à modérateur n’ont pas été mieux traités. Et nous ajouterons que tous ces hommes, auxquels leur siècle a refusé l’obole de la reconnaissance publique, fondaient l’une des industries les plus importantes de l’univers, l’industrie de l’éclairage, dont les produits annuels se chiffrent aujourd’hui par des millions en tous pays, et surtout en France. L’histoire des inventions scientifiques, que nous écrivons dans cet ouvrage, n’est que trop souvent l’histoire des souffrances des inventeurs et le martyrologe du génie.


CHAPITRE IX

la lampe solaire. — la lampe jobard ou lampe du pauvre.

Pour compléter cette étude sur l’éclairage par les corps gras liquides, il nous reste à dire quelques mots d’une lampe qui fut assez remarquée pendant quelque temps, et qui méritait, en effet, d’attirer l’attention, par la nouveauté de son principe. Nous voulons parler de la lampe dite solaire.

Dans cette lampe, qui fut imaginée vers 1840, par M. Neuburger, on obtient un très-vif éclat lumineux, sans employer aucune espèce de mécanisme, sans prendre la peine d’élever l’huile jusqu’à la mèche, et en se contentant de poser la mèche au milieu du réservoir d’huile, en la surmontant d’une cheminée de verre.

L’avantage essentiel de la lampe solaire, c’est qu’elle permet de brûler toutes sortes de combustibles, des corps gras sans valeur, comme des huiles rances, des graisses, du suif, de l’oléine, etc.

La lampe solaire consiste en un simple réservoir circulaire plein d’huile, sur lequel on place un bec d’Argand, c’est-à-dire une cheminée de cuivre, mais sans aucun verre, en faisant dépasser d’un centimètre à peine la mèche du niveau de l’huile. Dans ces conditions, la combustion ne tarderait pas à devenir imparfaite par suite de l’abaissement de niveau de l’huile. Mais le porte-cheminée étant disposé d’une manière toute particulière, la flamme subit, un peu au-dessus de la mèche, un étranglement dans lequel elle se mélange avec l’air. Elle s’allonge et s’élève alors un peu au-dessus du niveau de l’huile, en dégageant une lumière extrêmement vive