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précipitent avec fracas, et forment la rivière de la Sorgue. Au-dessous du mur qui ferme le vallon, est un bassin circulaire, de 20 mètres de diamètre, entouré d’énormes blocs de rochers et creusé en entonnoir, dans lequel les eaux de la fontaine se maintiennent à des hauteurs variables. On n’a jamais trouvé le fond de cet abîme. L’excavation du bassin s’étend sous les rochers, et de vastes canaux souterrains y amènent des eaux abondantes. Les blocs entassés en avant du bassin, sont couverts d’une mousse d’un vert noirâtre, qui croît sur une terre calcaire blanche, déposée par les eaux.

Sur le bord du bassin, on avait érigé, en 1809, une colonne portant cette inscription : À Pétrarque. Bien qu’elle fût taillée sur le modèle de la colonne de Trajan, à Rome, elle parut d’un effet si mesquin, comparée à la grandeur de la scène naturelle qui l’entourait, et aux rochers immenses dont la hauteur la rapetissait d’une façon démesurée, qu’il fallut l’enlever. On la transporta à l’entrée du village, où elle est encore.

On sait que Pétrarque alla chercher dans le vallon solitaire de Vaucluse les charmes du recueillement et de la solitude.

« Cherchant, nous dit Pétrarque, dans son Épître à la postérité, une retraite qui me servit d’asile, je trouvai, à quinze milles d’Avignon, un vallon très-étroit, mais solitaire et délicieux, que l’on nomme Vaucluse, et au fond duquel naît la Sorgue, la plus célèbre des fontaines. Épris des charmes de ce lieu, je m’y retirai avec mes livres. Mon récit serait trop long, si je racontais tout ce que j’ai fait dans cette solitude, où j’ai passé un grand nombre d’années. J’en donnerai une idée en disant que de tous les ouvrages qui sont sortis de ma plume, il n’en est aucun qui n’y ait été écrit, commencé ou conçu ; et ces ouvrages sont si nombreux que dans un âge avancé ils m’occupent et me fatiguent encore…

« Cette retraite m’a inspiré des réflexions sur la vie solitaire et le repos des cloîtres, dont j’ai fait l’éloge dans deux traités particuliers. C’est enfin sous les ombrages de cette solitude que j’ai cherché à éteindre le feu dévorant qui consumait ma jeunesse ; je m’y retirai comme dans un asile inviolable : imprudent ! ce remède aggravait mes souffrances. Ne trouvant personne, dans une si profonde solitude, pour arrêter les progrès du mal, j’y souffrais davantage. C’est alors que, le feu de mon cœur, s’échappant au dehors, je fis retentir ces vallées de mes tristes accents qui, d’après quelques lecteurs, ont une douce mélodie. »

L’effet tantôt majestueux, tantôt riant et pittoresque, de la fontaine de Vaucluse, s’explique par les alternatives de l’irruption des eaux. Au point précis de la source, un énorme rocher s’élève, tout d’une pièce, à une hauteur de plus de 200 mètres, surplombant d’une façon menaçante la tête du touriste. Si les eaux sont basses, le visiteur voit à ses pieds un précipice horrible, incomplétement rempli d’eau ; si les eaux sont hautes, il a devant lui une cascade jetant sur une série de rochers une masse d’eau effroyable, qui se brise et se réduit en écume avec un fracas épouvantable.

Dans les crues annuelles ordinaires, l’eau se divise par chutes inégales, entre les blocs de rochers ; la cascade offre alors un aspect varié de formes et de couleurs. Mais, après les grandes pluies, par suite de l’abondance de l’eau, c’est une véritable rivière qui sort du gouffre, offrant l’aspect d’un immense manteau aux franges d’écume.

Ainsi ce ne sont pas seulement des lacs, masses d’eau immobiles, ou à peu près, que l’on rencontre dans les entrailles de la terre ; ce sont aussi de véritables rivières, qui se sont peu à peu frayé un chemin entre deux couches imperméables, en désagrégeant le terrain originaire et se mettant à sa place. Ces rivières coulent avec une certaine vitesse, absolument comme celles de la terre. Nous ne parlons pas ici des cours d’eau qui s’engouffrent momentanément dans des cavernes ; les rivières auxquelles nous faisons allusion sont essentiellement souterraines.

Il est certain qu’une rivière souterraine circule sous la ville de Tours. On en eut la preuve en 1831. Les eaux du puits artésien qui existe place de la Cathédrale, acquirent su-