Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/544

Cette page a été validée par deux contributeurs.

années à toutes les intempéries atmosphériques, laissé passer une seule goutte d’eau jusqu’à la plaque de plomb qui la supportait ; ainsi Buffon ayant examiné dans un jardin un tas de terre de 3 mètres de haut qui était resté intact depuis plusieurs années, reconnut que la pluie n’y avait jamais pénétré au delà de 1m,30 (4 pieds de profondeur)[1]. »

Il est facile de comprendre maintenant comment Descartes et les physiciens de son école furent amenés à faire intervenir les eaux de l’Océan, réduites en vapeurs par l’action du feu central, c’est-à-dire par la chaleur propre du globe, pour expliquer l’existence de certaines sources à de grandes hauteurs au-dessus du niveau de la mer. Puisque les eaux pluviales restent toujours à la surface du sol, il faut bien, disait-on, que les eaux des sources situées dans les lieux élevés, aient une autre origine.

Le vice de ce raisonnement, c’était de supposer que partout la surface du sol est formée de terre végétale. Il n’en est point ainsi. Sur un grand nombre de points, le sable, matière éminemment perméable, et des roches sillonnées de fissures, se montrent à nu. C’est par ces canaux d’écoulement que les eaux pluviales s’infiltrent, et pénètrent dans les profondeurs du sol.

Avec un peu d’observation on serait arrivé sans peine à la véritable théorie des sources naturelles et des puits artésiens. Il eût suffi de remarquer l’étroite connexité qui existe entre les pluies et le débit des sources. Pendant les mois les plus chauds et les plus secs de l’année, le débit des sources et fontaines naturelles, devient moins considérable ; souvent même il est réduit à néant. Quand les pluies arrivent, les sources recommencent presque aussitôt à couler avec abondance.

Comment les anciens physiciens ne comprenaient-ils pas la relation, la liaison si simple, si visible, de ces deux phénomènes ? Comment n’en concluaient-ils pas que les fontaines naturelles sont alimentées par les eaux pluviales ? Pourquoi allaient-ils chercher le feu central, lorsqu’il leur suffisait d’invoquer la pluie ? C’est que, dans les sciences, l’explication la plus simple est souvent la dernière à laquelle on songe. C’est que des vues systématiques, ou des théories qui exercent un grand empire sur les esprits, comme celles de Descartes, empêchent souvent de voir ou de comprendre ce qui, pour ainsi dire, tombe sous les sens.

Une des objections les plus spécieuses qu’on ait élevées contre la théorie moderne des puits artésiens, c’est qu’en certains pays, dans l’Artois, par exemple, ces fontaines surgissent au milieu d’immenses plaines, loin de toute colline qui pourrait donner lieu à une prise d’eau dans les conditions nécessaires pour le jaillissement de la nappe liquide intérieure. On résout facilement la difficulté en reconnaissant que le phénomène est susceptible de se produire dans de très-vastes proportions, sur une étendue immense. Il n’y a aucune impossibilité à ce qu’un puits foré soit alimenté par une nappe d’eau dont le point d’absorption serait situé à 20, 40, 60 ou 80 lieues de là, et les cours d’eau souterraine de 100 lieues d’étendue sont peut-être moins rares qu’on ne le suppose. Ne voit-on pas la constitution géologique d’une contrée rester la même sur une pareille superficie ?

Au reste, on connaît des faits qui corroborent parfaitement cette explication.

Arago cite l’exemple d’un navire anglais qui rencontra dans les mers de l’Inde, une abondante source d’eau : on était à 36 lieues de la côte la plus voisine. L’eau fournie par cette source était donc amenée du continent, sous le lit de la mer, par des canaux souterrains, mesurant au moins 36 lieues d’étendue en ligne droite. Du moment où de pareilles dimensions sont atteintes, rien ne s’oppose à ce qu’elles soient doublées ou triplées.

Le fait rapporté par Arago n’est pas, d’ail-

  1. Notices scientifiques, t. III, les Puits forés.