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attaquée par les savants, entre autres par M. Héricart de Thury, ingénieur, qui était alors l’homme le plus compétent sur la matière. M. Héricart de Thury déclara qu’il était impossible de creuser la terre à une profondeur de 3 000 pieds, par le procédé chinois.

Le supérieur de la mission chinoise ayant fait part de ces critiques à l’abbé Imbert, celui-ci se rendit dans la région des puits de sel, pour vérifier l’exactitude de ses chiffres, et voici ce qu’il écrivait dans une seconde lettre :

« J’ai mesuré la circonférence du cylindre en bambou sur lequel s’enroule la corde qui remonte les instruments du fond du puits, j’ai mesuré le nombre de tours de cette corde. Le cylindre a 50 pieds de tours, et le nombre de tours de la corde est de 62. Comptez vous-même si cela ne fait pas 3 100 pieds ; ce cylindre est mis en mouvement par deux bœufs, mis à un manége ; la corde n’est pas plus grosse que le doigt, elle est faite en lanières de bambou et ne souffre pas de l’humidité. »

Les Chinois emploient au moins trois ans à creuser un puits, par le procédé qui vient d’être indiqué. Comme le dit l’abbé Imbert, quand la roche est bonne, c’est-à-dire quand elle n’est pas trop mélangée de lits de terre, de charbon ou d’autres matières susceptibles de s’ébouler, le travail avance de 2 pieds par 24 heures.

Les détails que donne l’abbé Imbert sur la manière d’élever l’eau, prouvent surabondamment que les puits à sel des Chinois ne sauraient être assimilés à nos puits artésiens, puisque l’eau n’y jaillit pas, lorsque le forage est terminé.

Ce missionnaire nous apprend, en effet, que, pour amener l’eau à la surface du sol, on descend dans le puits un tube de bambou, de 24 pieds de long, muni d’une soupape à son extrémité inférieure. Le tube étant arrivé au fond du puits, un homme vigoureux donne de violentes secousses à la corde (fig. 336). À chaque secousse, la soupape s’ouvre, et l’eau monte dans le tube. Lorsque le tube est plein, on le hisse en faisant tourner par des bœufs un grand cylindre sur lequel s’enroule la corde.

De ce qui précède, il résulte donc : 1o que les puits à sel des Chinois n’ont rien de commun avec nos puits artésiens, si ce n’est leur grande profondeur ; 2o qu’on ne peut fixer avec certitude l’époque à laquelle remonte leur invention.

Ces réserves posées, il faut reconnaître que les procédés de forage des Chinois ne manquent pas de mérite dans leur simplicité ; mais nous avons déjà dit et nous aurons occasion de répéter, qu’ils ne sont applicables qu’à une certaine nature de terrains. De là l’insuccès qu’ont éprouvé en Europe plusieurs tentatives faites pour le sondage à la corde.

Il est probable que les puits artésiens furent connus en Italie à une époque fort ancienne. En effet, d’après un récit de Bernardini-Ramazzini, les fouilles pratiquées dans la ville antique de Modène, ont plusieurs fois mis à jour des tuyaux de plomb, qui communiquaient avec des puits abandonnés.

« Or, dit Arago dans sa Notice sur les Puits forés, quel aurait pu être l’usage de ces tuyaux, si ce n’eût été d’aller chercher à 20 ou 25 mètres de profondeur, c’est-à-dire fort au-dessous des eaux de mauvaise qualité et insalubres, résultant des infiltrations locales, la nappe limpide et pure qui alimente toutes les fontaines de la ville moderne ? »

Au reste, dès le commencement des temps modernes, la ville de Modène avait déjà retrouvé la tradition ancienne, et elle possédait des puits artésiens, comme le prouvent ses armes, composées de deux tarières de fontainier.

Avant de se rendre en France, sur l’invitation de Louis XIV, c’est-à-dire vers le milieu du xviie siècle, Dominique Cassini avait fait creuser, au fort Urbain, un puits dont l’eau s’élançait jusqu’à 5 mètres au-dessus du sol. Lorsqu’on forçait cette eau à monter dans un tube, elle s’élançait jusqu’au faîte des maisons. Cassini a même laissé une des-