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tune, aux premiers temps de sa découverte ! Hélas ! toutes ces espérances devaient s’évanouir ; ces rêves de bonheur ne devaient pas tarder à faire place aux tristes déceptions de la réalité. Les lampes Carcel, — car le public avait bientôt fait justice du nom barbare de lycnomènes, c’est-à-dire lumière fixe (du mot grec λὐχνος, lumière, et μἐνος, fixe), que Carcel leur avait donné, et baptisé la nouvelle invention du nom de son inventeur, — les lampes Carcel coûtaient fort cher. Or, les guerres de la République n’avaient enrichi personne, en France. Aussi les premières années de la durée du brevet Carcel et Carreau, s’écoulèrent-elles sans amener beaucoup d’acheteurs à la nouvelle invention. Le pharmacien Carreau, fatigué d’avancer de l’argent en pure perte, s’était retiré de l’association, et Carcel, resté seul et fort découragé, était au moment d’abandonner lui-même son œuvre. L’ouverture d’une Exposition de l’industrie aux Champs-Elysées, ordonnée par Napoléon Ier, pour continuer l’institution décrétée, peu d’années auparavant, par la République, vint heureusement réveiller les espérances de l’inventeur. Guillaume Carcel transporta à l’Exposition des Champs-Elysées toutes les lampes qui garnissaient ses ateliers.

Ce fut un véritable coup de théâtre, qui le sauva. Chaque jour une foule immense se pressait pour jouir du spectacle nouveau de douze lampes allumées qui répandaient un éclat dont rien auparavant n’avait pu fournir l’idée. Carcel, se tenant au milieu de cette illumination splendide, expliquait à tout venant le mécanisme nouveau, et chacun saluait l’inventeur et son invention du témoignage d’une admiration sans réserve. Il n’y a qu’un moment dans la vie d’un inventeur, mais ce moment est sublime ; il paye à lui seul les souffrances, les amertumes, les angoisses de toute une vie. C’est ce moment de bonheur indicible que dut éprouver, pendant la seconde Exposition de l’industrie nationale, l’inventeur de la lampe mécanique.

Cependant ces beaux jours n’eurent pas les lendemains que l’inventeur devait attendre. Sans doute les lampes Carcel acquirent dès ce moment une certaine vogue ; mais la période du premier Empire était peu favorable à tout ce qui se rapportait aux progrès des sciences comme aux arts du luxe. La France n’était alors qu’un vaste camp militaire, dans lequel généraux, ministres, employés supérieurs, n’étaient jamais certains de rester à la même place, et ne pouvaient répondre de ne pas partir le lendemain pour quelque point éloigné de notre immense territoire. Dans de pareilles conditions, personne ne pouvait songer à l’achat d’un appareil coûteux d’éclairage. Carcel ne tira donc qu’un médiocre parti de sa découverte. Il mourut en 1812, pauvre et accablé d’infirmités. La vie n’avait été pour lui qu’une longue et pénible lutte. Comme la plupart des auteurs des inventions utiles, auxquels nous devons les facilités de notre bien-être actuel, il laissa à d’autres le profit et le bénéfice de ses travaux.

Si Carcel eût vécu quelques années encore, c’est-à-dire jusqu’à la Restauration, il aurait été témoin du succès extraordinaire qui finit par couronner son invention. C’est en effet, à partir de 1815, que commença la grande vogue des lampes Carcel. Avec Louis XVIII, était revenue la noblesse française. Les émigrés rentrés en France, tous ces hommes amoureux du luxe et de l’ostentation, marquis ou comtes, ducs ou princes, savouraient à longs traits les jouissances que le pays leur rendait, et dont ils avaient été si longtemps sevrés. Tout ce qui tenait au luxe, tout ce qui coûtait cher, fut alors à la mode, et comme la lampe Carcel était le nec plus ultra pour l’éclairage des salons, toute la noblesse de France passa dans la boutique du modeste horloger de la rue de l’Arbre-Sec, humble boutique s’il en fut ja-