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Lange et Quinquet s’étaient pourvus, auprès des corps savants, de témoignages à leur appui. Au mois d’avril 1784, ils avaient lu, sur leur prétendue découverte, un mémoire à l’Académie des sciences. En février 1785, ils avaient présenté à la même compagnie, leurs appareils perfectionnés ; et le 6 septembre de la même année, une approbation signée de Brisson, Leroy et de Fouchy, constatait le suffrage de ces savants, qui concluaient, mais à grand tort, que l’invention de Quinquet consistait dans l’adjonction, au bec d’Argand, d’une cheminée de verre.

Comme nous l’avons déjà dit, la cheminée de verre était l’invention propre du physicien de Genève. Il n’est pas raisonnable d’admettre que l’inventeur, voulant ajouter à la puissance éclairante d’une flamme, eût voulu la cacher derrière un écran opaque, c’est-à-dire mettre littéralement la lumière sous le boisseau. Cette disposition n’était bonne que pour le chauffage ; elle a été conservée dans la lampe d’Argand des laboratoires improprement nommée quelquefois lampe de Berzélius ; mais il est absurde, nous le répétons, de supposer qu’Argand se fût arrêté un seul instant à la pensée de conserver ce tube opaque, quand il s’agissait d’éclairage.

Informé du plagiat effronté de Lange et de Quinquet, Argand se hâta de quitter Londres, pour venir réclamer ses droits si ouvertement méconnus. Un arrêt du conseil d’État, du 30 août 1785, enregistré le 18 octobre suivant au parlement de Bourgogne, le reconnut seul inventeur, et lui accorda un privilège exclusif de quinze années, pour fabriquer et vendre les lampes à cheminée de verre sous le nom de lampes d’Argand. Il entreprit alors d’attaquer ses adversaires en justice. Mais Lange et Quinquet, parfaitement appuyés, étaient peu disposés à se relâcher de leurs prétentions. Après des différends prolongés, Argand, fatigué des lenteurs des voies judiciaires, consentit à partager avec ses audacieux compétiteurs, les bénéfices de son invention. Sic vos non vobis. Le 5 janvier 1787, Argand et Lange, désormais associés, obtinrent des lettres patentes données sur arrêt, et portant en leur faveur, permission exclusive de fabriquer et vendre, dans tout le royaume, des lampes de leur invention pendant quinze ans.

Lange et Quinquet établirent à Paris des ateliers pour la fabrication des nouvelles lampes : Lange dirigeait le travail, Quinquet fournissait les fonds de l’entreprise. Argand alla se fixer à Versoix, près de Genève. Il y créa un établissement qui, pendant plusieurs années, répandit ses produits en Suisse et dans le midi de la France.

Les lampes construites par Argand à Versoix, et par Lange à Paris, étaient assez semblables à celles que l’on désigne encore sous le nom de lampe de bureau ou lampe à tringle. Le bec offrait la disposition ordinaire des becs d’Argand, le réservoir d’huile était supérieur au bec. Le réservoir consistait en un vase métallique fermé par une petite soupape de fer-blanc, et renversé dans un autre vase plein d’huile. Par une application du principe mis en usage dans l’appareil de physique connu sous le nom de vase de Mariotte à mesure que la combustion faisait baisser le niveau de l’huile dans le bec, une bulle d’air, s’introduisant dans le réservoir, faisait descendre une nouvelle quantité d’huile, et l’orifice de l’entrée de l’air se trouvant ainsi obturé par le liquide, l’écoulement de l’huile s’arrêtait jusqu’à ce que la combustion dans la mèche eût de nouveau découvert l’orifice et laissé entrer une nouvelle bulle d’air. Nous donnerons plus loin l’explication complète et les figures de ce mécanisme, qui n’avait rien de commun avec le bec d’Argand, et qui ne servait qu’à alimenter régulièrement d’huile la mèche de la lampe.

Les lampes d’Argand avaient de si nombreux avantages, elles étaient tellement supérieures à tout ce que l’industrie avait produit jusque-là, dans ce genre d’appareils,