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Il y avait à cette époque, dans le corps honorable et savant des pharmaciens de Paris, un homme, distingué sans doute par ses connaissances, mais que l’amour de la renommée et du bruit avait quelquefois écarté des routes ordinaires. C’était Quinquet, dont l’officine était établie dans le quartier des halles, rue du Marché-aux-Poirées, vis-à-vis la rue de la Cossonnerie, et qui faisait alors beaucoup de bruit avec ses pilules de crème de tartre dissoluble. Quinquet comprit toute l’importance de la découverte du savant genevois ; il voulut à tout prix en faire jouir sans retard, et le public, et lui-même par occasion. Il se mit donc à fréquenter la maison de Réveillon, où Argand s’était logé avec son ami Montgolfier. Il entoura de ses obsessions le physicien de Genève, et essaya, par tous les moyens, d’obtenir de lui des renseignements précis sur le mécanisme de sa lampe.

Argand demeura impénétrable.

Pour rester historien impartial dans un débat qui a beaucoup ému, à cette époque, les oisifs et les savants, nous rapporterons les termes mêmes dans lesquels Quinquet a expliqué et essayé de justifier sa conduite. Il s’exprimait ainsi, dans une lettre adressée, le 20 janvier 1785, au Journal de Paris :

« Quand M. Argand vint à Paris avec M. de Montgolfier, il me dit qu’il avait imaginé une lampe économique qui produisait la plus belle lumière. Je l’interrogeai sur le mécanisme de cette lampe. Il me répondit qu’il était sur le point de traiter de sa découverte avec le Gouvernement ; que dans le cas où cet arrangement n’aurait pas lieu, il porterait sa découverte en Angleterre, et que, dans cette position, son intérêt le forçait au silence.

« Piqué, je l’avoue, de tant de réserve envers moi, je lui répondis que jusqu’alors j’avais respecté ses motifs, mais que s’il portait sa découverte à l’étranger, je me croirais libre de faire des recherches sur le même objet ; que j’y travaillerais d’autant plus volontiers qu’il m’assurait que son procédé tenait à des principes de physique, et que, comme les problèmes de physique se résolvaient par des lois connues, je croyais pouvoir lui garantir qu’à son retour de Londres, il me trouverait mieux éclairé.

« — Vaine tentative, me dit-il, mon moyen est trop simple pour que vous puissiez jamais le trouver.

« M. Argand m’avait prié de lui procurer la connaissance de M. Lange, marchand épicier, parce qu’il espérait, par son moyen, vendre son secret au corps des épiciers. Cette proposition, et le mystère qui l’accompagna, émurent aussi la curiosité de M. Lange, qui se proposa de travailler sur cet objet. Nous nous communiquâmes nos idées. Nos travaux et nos recherches se firent en commun. »

Il est impossible de prêter la moindre créance à l’explication donnée ici par Quinquet, pour couvrir le plagiat qu’il exerça contre l’inventeur des lampes à cylindre de verre et à double courant d’air. Argand avait montré ses appareils à un assez grand nombre de personnes, pour qu’il ne fût pas difficile, avec un peu d’intelligence et de soin, d’en construire de semblables.

Pour bien éclaircir ce point fondamental de l’histoire de l’invention des lampes à courant d’air et à cheminée de verre, nous rapporterons les quelques pages qui terminent le mémoire de Paul Abeille, intitulé Découverte des lampes à courant d’air et à cylindre, publié à Genève en 1785, et qui nous a fourni une partie des renseignements contenus dans les pages qui précèdent.

« Avant le départ de M. Argand pour Londres, et par conséquent dès le mois d’octobre 1783, écrit M. Paul Abeille, M. de Joubert, lié avec M. Lesage, proposa à ce dernier de recommander à M. Lenoir, conseiller d’État, alors lieutenant général de police, la lampe dont il s’agit, et son inventeur M. Lesage s’y prêta de très-bonne grâce ; et ce magistrat, qui avait connu M. Argand à l’occasion des expériences aérostatiques faites à Versailles et à Paris, l’accueillit avec sa bonté et son affabilité ordinaires. M. Argand lui présenta sa lampe. La vivacité de la lumière qu’elle répandit dans une chambre où elle fut placée à différentes hauteurs, et dans différents points de

    Quinquet, sont rares et très-peu connus. Nous avons mis à profit pour cette partie de notre notice :

    1o La biographie d’Argand, par M. Heyer, déjà citée ;

    2o Une brochure intitulée : Découverte des lampes à courant d’air et à cylindre par Argand, Genève, in-8, 1785, mémoire composé, non par Argand, comme pourrait le faire croire le titre, mais par Paul Abeille, qui fut inspecteur des manufactures en France. Nous n’avons pas eu entre les mains cette brochure, qui est excessivement rare, mais nous en avons fait prendre une copie manuscrite, grâce à l’obligeance d’un de nos amis de Genève ;

    3o La collection du Journal de Paris.