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raffa fonctionnaient toujours. On trouvait le soir, dans les principales rues, des hommes munis de falots, numérotés comme nos fiacres, et que l’on prenait à l’heure ou à la course, quand on avait à sortir.

L’éclairage de Paris faisait l’admiration des étrangers. Voici ce qu’en disait, en 1700, l’auteur de la Lettre italienne sur Paris, insérée dans le Saint-Evremoniana :

« L’invention d’éclairer Paris, pendant la nuit, par une infinité de lumières, mérite que les peuples les plus éloignés viennent voir ce que les Grecs et les Romains n’ont jamais pensé pour la police de leurs républiques. Les lumières enfermées dans des fanaux de verre suspendus en l’air et à une égale distance sont dans un ordre admirable, et éclairent toute la nuit. Ce spectacle est si beau et si bien entendu qu’Archimède même, s’il vivait encore, ne pourrait rien ajouter de plus agréable et de plus utile. »

Lister, dans la relation de son voyage en France, écrite en 1698, ne le cède pas pour l’admiration à l’enthousiaste Italien ; seulement il la raisonne mieux ; il la justifie par des détails très-précis et très-curieux sur les lanternes :

« Les rues, dit Lister, sont éclairées tout l’hiver et même en pleine lune ; tandis qu’à Londres on a la stupide habitude de supprimer l’éclairage quinze jours par mois, comme si la lune était condamnée à éclairer notre capitale à travers les nuages qui la voilent.

« Les lanternes sont suspendues au milieu de la rue à une hauteur de vingt pieds et à vingt pas de distance l’une de l’autre. Le luminaire est enfermé dans une cage de verre de deux pieds de haut, couverte d’une plaque de fer ; et la corde qui les soutient, attachée à une barre de fer, glisse dans sa poulie, comme dans une coulisse scellée dans le mur. Ces lanternes ont des chandelles de quatre à la livre qui durent encore après minuit. Ce mode d’éclairage coûte, dit-on, pour six mois seulement, 50 000 livres sterling (1 500 000 francs). Le bris des lanternes publiques entraîne la peine des galères. J’ai su que trois jeunes gentilshommes, appartenant à de grandes familles, avaient été arrêtés pour ce délit et n’avaient pu être relâchés qu’après une détention de plusieurs mois, grâce aux protecteurs qu’ils avaient à la cour. »

C’étaient donc des chandelles qui garnissaient les quatre splendides fanaux que le duc de La Feuillade avait fait placer autour de la statue de Louis XIV, sur la place des Victoires, et qui lui valurent cette plaisanterie gasconne :

La Feuillade, sandis ! jé crois qué tu mé bernes
D’éclairer le soleil avec quatré lanternes !

Louis XIV, on le sait, avait pris le soleil pour emblème.

Il y avait néanmoins une catégorie d’individus qui ne trouvaient pas leur compte à cette innovation : c’étaient les filous, voleurs et tireurs de laine.

Une pièce de vers, qui courut tout Paris, avait pour titre : Plaintes des filous et écumeurs de bourse à nosseigneurs les réverbères. On nous permettra de citer les premiers vers de ce poëme burlesque :

À vos genoux, puissant Mercure,
Tombent vos clients les filous.
Vous, leur patron, souffrirez-vous
Qu’à leur trafic on fasse injure ;
Qu’on éclaire leur moindre allure ;
Enfin qu’un mécanicien,
Au détriment de notre bien,
Ait fait hisser ces réverbères,
Qui n’illuminent que trop bien
L’étranger et le citoyen ;
De la police les cerbères,
Qui ne nous permettent plus rien ?
Grâce à ces limpides lumières,
Qui rendent les âmes si fières,
D’écumer il n’est plus moyen,
Ni la bourse du mauvais riche
À pied qui revient de souper
Où de bons mots il fut plus chiche
Que de manger bien et lamper ;
Ni les poches d’une marchande
Allant le soir, à petit bruit,
Trouver dans un simple réduit
Son grand cousin qui la demande ;
Le gousset garni d’un plaideur,
Descendu nuitamment du coche,
Courant porter au procureur
Ce qu’un écumeur lui décoche ;
La valise d’un bon fermier,
Non celui qui dans un jour gagne
Dix mille écus sur son palier
Et qu’un grand cortège accompagne
(Ne serait-il que financier),
Mais un fermier, loyal rentier,