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néanmoins, en voie de prospérité. La fabrique avait à peu près couvert ses frais de fondation, et elle entrait dans la période des bénéfices. Mais une mort mystérieuse et tragique vint tout à coup changer ces espérances en désastre.

Lebon avait conservé son titre d’ingénieur en chef des ponts et chaussées. Il fut invité, en cette qualité, à venir assister au sacre de l’Empereur. Il se rendit donc à Paris le jour de la cérémonie du sacre, et il reçut de ses camarades des ponts et chaussées un chaleureux accueil.

Le soir même, c’est-à-dire le 2 décembre 1804, après avoir assisté, dans l’église Notre-Dame, à la cérémonie officielle, avec le corps des ingénieurs des ponts et chaussées, Lebon traversait les Champs-Elysées, qui n’étaient alors qu’un cloaque désert. Que se passa-t-il en ces ténèbres ? Qui rencontra le malheureux ingénieur ? On l’ignore. Tout ce que l’on peut dire, c’est que le lendemain, au point du jour, quelques personnes relevèrent, dans les quinconces des Champs-Élysées, le corps d’un homme percé de treize coups de couteau. C’était celui de Philippe Lebon. On le rapporta chez lui. Ni sa famille ni ses amis ne purent recevoir ses dernières paroles, et l’on pensa qu’il avait été frappé par des malfaiteurs qui en voulaient à sa bourse. Au milieu des préoccupations du moment, la cause de la mort de Lebon ne fut point, d’ailleurs, sérieusement recherchée, et son nom grossira la liste de ces inventeurs malheureux qui n’ont trouvé auprès de leurs contemporains que l’indifférence ou l’oubli.

« Si l’on veut son portrait, dit M. Jules Gaudry, qu’on regarde celui de Bonaparte à l’époque de Marengo. L’analogie est frappante : c’est la même figure, pâle, méditative, illuminée par des yeux de feu, ce sont les mêmes cheveux tombants et plaqués sur le front, le même habit boutonné et à grands revers ; la même taille mince, plus élevée chez l’ingénieur Lebon, mais un peu courbée par l’habitude du travail assis. Son caractère était ardent, confiant et généreux ; il était de ces hommes dont l’avidité du spéculateur abuse facilement, et même, avant les dépenses du thermolampe, il avait conquis plus d’estime que de fortune. »

La veuve de Lebon restait avec un fils mineur et sans fortune, car son patrimoine avait été compromis et presque anéanti par des essais et des expériences de six années. Un associé infidèle fit disparaître les bénéfices déjà obtenus sur la fabrication du goudron dans la forêt de Rouvray. L’opération fut abandonnée, et sa famille resta sans ressources, exposée aux poursuites du Domaine, pour une somme de 8 000 francs, qui restait due sur le prix de la concession.

Cependant madame Lebon s’arma de courage pour conserver les travaux de son mari. Elle proposa au Ministre de la marine d’établir un thermolampe au Havre, et le Ministre, dans une lettre datée du 16 messidor an XIII, lui annonçait l’intention de faire établir un thermolampe au Havre, aux frais du gouvernement, dans le cas où la dépense serait reconnue peu considérable, pour favoriser, dans l’intérêt public, une invention qui commençait à se répandre. Mais après examen plus approfondi, ce projet fut rejeté par le Ministre. Quand on parcourt l’histoire des inventions scientifiques en France, on trouve toujours quelque ministre intelligent, qui se trouve, comme à point nommé, pour arrêter les progrès d’une découverte utile.

La veuve de Lebon, dont l’intelligence égalait l’énergie, se mit alors à l’œuvre elle-même, aidée de quelques personnes sur la fidélité desquelles elle croyait pouvoir compter. En 1811, sept ans après la mort de Philippe Lebon, elle loua au faubourg Saint-Antoine, rue de Bercy, no 11, une maison avec cour et jardin. Elle y établit un thermolampe, décora de jets de lumière les appartements, les cours et les jardins, comme son mari avait décoré et chauffé, en 1801, l’hôtel Seignelay de la rue Saint-Dominique. Elle appela le public à venir, comme la première