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sonnes obligées de parcourir les rues pendant la nuit.

C’est un certain abbé Laudati, de la noble maison italienne de Caraffa, qui créa cette entreprise, après avoir obtenu du jeune roi Louis XIV, au mois de mars 1662, des lettres patentes qui lui en accordaient le privilège. Le 26 août 1665, le parlement enregistra ces lettres, en réduisant à vingt ans le privilège qui était perpétuel, « aux charges et conditions que tous les flambeaux dont se serviraient les commis seraient de bonne cire jaune, achetés chez les épiciers de la ville, ou par eux fabriqués et marqués des armes de la ville. »

Ces cierges étaient divisés en dix portions, et l’on payait cinq sous chaque portion, pour se faire escorter dans les rues. Les porte-lanternes étaient distribués par stations, éloignées chacune de cent toises ; on payait un sou pour la distance d’un poste à l’autre. Pour se faire éclairer en carrosse, on payait aux porte-lanternes cinq sous par quart d’heure. À pied, on payait seulement trois sous pour se faire escorter le même espace de temps.

À une époque où l’éclairage public était si imparfait encore, l’entreprise de l’abbé Laudati de Caraffa rendit d’incontestables services, en assurant au passant attardé quelque sécurité dans sa marche nocturne. On ne peut, d’ailleurs, tenir le fait en doute, d’après le témoignage d’une personne digne d’être écoutée en pareille matière, le sieur Desternod, poëte gentilhomme, qui avoue avec franchise qu’il avait le projet de voler les passants. « J’aurais, nous dit-il, exécuté ce projet,

« Si l’on ne m’eût cogneu au brillant des lanternes. »

C’est le succès de l’entreprise de Laudati de Caraffa qui amena l’établissement de l’éclairage public de la capitale. Louis XIV, après avoir arrêté l’organisation de la police de Paris, avait créé une charge de lieutenant de police, et appelé La Reynie à ce poste. L’organisation générale de l’éclairage fut un des premiers actes de ce lieutenant de police. Le 2 septembre 1667, date importante à enregistrer, puisqu’il s’agit d’une institution fondamentale dans l’histoire de Paris, on vit paraître l’ordonnance qui prescrivait d’établir des lanternes dans toutes les rues, places et carrefours de la ville. En même temps qu’il inventait l’espionnage, La Reynie instituait l’illumination publique : l’œuvre de civilisation et de progrès peut faire pardonner l’œuvre de délation et de ténèbres.

L’établissement général de l’éclairage fut accueilli, à Paris, comme un bienfait public. La reconnaissance des citoyens fut telle, que l’on fit frapper une médaille pour la consacrer. Cette médaille porte pour légende : Urbis securitas et nitor.

Les poëtes ne manquèrent pas de célébrer cette institution nouvelle. Dans ses Rimes redoublées, le sieur d’Assoucy vante les résultats de la mesure établie par le lieutenant de police. Le poëte La Monnaie, mort en 1728, a célébré l’établissement des lanternes, par le sonnet suivant, qui ne vaut pas un long poëme, mais qui, étant en bouts rimés, a le droit de ne pas être sans défauts :

Des rives de Garonne aux rives du Lignon,
France ; par ordre exprès que l’édit articule,
Tu construis des falots d’un ouvrage mignon
Où l’avide fermier peut bien ferrer la mule.

Partout dans les cités, j’en excepte Avignon,
Où ne domine point la royale férule,
Des verres lumineux, perchés en rang d’oignon,
Te remplacent le jour quand la clarté recule.

Tout s’est exécuté sans bruit, sans lanturlu :
O le charmant spectacle ! En a-t-on jamais lu
Un plus beau dans Cyrus, Pharamond ou Cassandre ?

On dirait que, rangés en tilleuls, en cyprès,
Les astres ont chez toi, France, voulu descendre,
Pour venir contempler tes beautés de plus près.

On plaçait les lanternes aux extrémités et au milieu de chaque rue ; dans les rues d’une certaine longueur, le nombre de ces luminaires était augmenté. On les garnissait de chandelles de suif de quatre à la livre, poids de marc.

Le service et l’entretien de l’éclairage public