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Les beaux et nombreux viviers de l’établissement de Huningue sont situés sur les bords, à droite et à gauche, du canal du Rhône au Rhin ; ils occupent une étendue de terrain de plus de 100 mètres de long sur 15 de large. Placés bout à bout, ils sont alimentés par d’abondantes prises d’eau.

On se demande peut-être comment on peut faire cette récolte, c’est-à-dire comment on peut rassembler, sans trop de frais ni d’embarras de manutention, les jeunes poissons convertis en alevins, et assez développés pour pouvoir être transportés de l’établissement où ils ont pris naissance, dans les fleuves ou rivières qu’ils sont destinés à peupler. Ce résultat s’obtient à l’aide d’un artifice fort simple, et qui était mis en usage dans les piscines des Romains, car on en retrouve les traces parfaitement conservées et reconnaissables, sur les bords des piscines que Lucullus et Pollion firent creuser au flanc du Pausilippe, près de Naples.

Dans l’épaisseur de la rive de chaque vivier, on a ménagé des espèces de retraites, garnies chacune d’un grand coffre de bois, qu’on peut retirer à volonté. Ce coffre est percé, à sa paroi antérieure, d’une large ouverture, et ressemble assez à la niche de nos chiens de basse-cour. Seulement une vantelle, ou porte de bois mobile, dont la tige s’élève hors de l’eau, peut, en s’abaissant, fermer cette ouverture, et par conséquent, faire prisonniers les poissons qui se sont réfugiés dans ces dangereux abris. L’expérience montre que les poissons mis en liberté dans un vivier, vont se réunir dans les anfractuosités qui existent dans la paroi interne de ses bords. Si, par aventure, quelques-uns se tiennent à l’écart, il suffit de battre l’eau pour qu’ils viennent aussitôt s’y cacher. D’après cela, quand on veut faire la récolte de l’alevin, pour le transporter dans les eaux nouvelles auxquelles on le destine, il suffit d’agiter les eaux du milieu du vivier, et de fermer, peu d’instants après, la porte mobile des coffres de bois ; le poisson demeure ainsi prisonnier dans ces coffres.

Les coffres retirés de leurs niches sont ensuite ajustés plusieurs ensemble, de manière à former une sorte de bateau, et remorqués jusqu’au canal, où se préparent les convois qui doivent porter les produits de l’établissement dans toutes les eaux de la France.

Le canal du Rhône au Rhin, qui coule entre les deux longues lignes de piscines que nous venons de décrire, est, en effet, le véhicule naturel qui peut conduire les provisions de jeunes poissons ou les œufs fécondés dans toutes nos rivières ou nos fleuves, à l’aide des communications qui sont établies entre leurs eaux.

Telles sont les remarquables dispositions qui font de l’établissement de Huningue l’une des créations les plus originales et les plus intéressantes que l’on ait vues depuis longtemps en Europe. La figure 588, empruntée comme la précédente à l’Année illustrée, représente l’ensemble extérieur de cet établissement.

« Des délégués de toutes les provinces, de toutes les parties de l’Europe, attirés, dit M. Coste dans son Voyage d’exploration sur le littoral de la France et de l’Italie, par le bruit et la nouveauté d’une pareille entreprise, vinrent en foule visiter les lieux où elle allait s’accomplir, et y recevoir des mains généreuses de l’État l’initiation aux pratiques d’une industrie qui promettait au monde une source féconde d’alimentation……

« À l’aide de l’envoi des appareils et des œufs fécondés, l’établissement de Huningue a pu étendre son heureuse influence à tous nos départements à la fois, et faire assister les populations de nos provinces au curieux spectacle de l’éclosion des espèces les plus estimées, prises sur les bords du Rhin, des lacs de la Suisse, du Danube, etc., etc., et donner la preuve matérielle qu’il n’y avait pas de contrée, si éloignée qu’elle fût, dont l’industrie ne pût désormais importer les produits.

« Nous avons distribué, en 1855, pour atteindre le but que nous nous proposions, plusieurs millions d’œufs fécondés, soit de Saumon, soit de Truite commune, soit d’Ombre-chevalier, soit de Féra, soit de grandes Truites des lacs, parmi lesquels un assez bon nombre ont été expédiés aux établissements fondés à l’imitation de celui de Huningue, en Angle-