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Des Turbots, qui mesuraient alors 20 centimètres, ont atteint, au bout d’un an, une taille de 40 à 50 centimètres. Un Grondin, long de 5 centimètres, a quadruplé de taille, en trois ans. Au mois d’août 1863, M. Gerbe, le patient et dévoué collaborateur de M. Coste, a fait disposer, dans des viviers flottants, 500 à 600 Soles et Turbots de 3, 4 et 5 centimètres, qui ont crû en taille d’une façon fort remarquable.

La taille réglementaire pour la vente des poissons, est beaucoup moins élevée en France qu’en Angleterre. Le Turbot, pour être vendu en Angleterre, doit mesurer 42 centimètres, tandis qu’il suffisait chez nous, avant 1862, de 20 centimètres ; et le décret du 10 mai 1862 a réduit cette taille à 10 centimètres, il suit de là que la destruction du poisson sur nos côtes, fait des progrès formidables, et qu’il est temps de songer à l’arrêter. Le moyen d’y parvenir, serait d’élever les poissons trop jeunes dans des bateaux-viviers, tels que les cutters que le Gouvernement a concédés récemment aux pêcheurs de l’île de Ré.

Les bassins des crustacés n’offrent pas moins d’intérêt que ceux des poissons. Ils renferment, entre autres, 1 000 à 1 500 langoustes et homards, de tout âge, qu’on nourrit avec du poisson sans valeur, ou même avec les têtes de sardines, qui forment le déchet de la fabrication des conserves.

Ces Crustacés fuient le soleil, et vont s’amonceler sous les pierres. Les Langoustes aiment aussi à grimper sur les treillages qui sont disposés dans les viviers. Elles sont très-friandes des Étoiles de mer, qu’elles dépècent et emportent pour les dévorer à loisir. Leurs mandibules sont organisées de telle façon qu’elles peuvent croquer les écailles d’huîtres pour arriver jusqu’à l’animal.

MM. Coste et Gerbe ont fait des observations fort intéressantes sur l’accouplement des Homards et des Langoustes, et ils ont utilisé les données acquises pour arriver à l’éclosion des œufs de crustacés. C’est ainsi que M. Gerbe a démontré, que les Phyllosomes de la mer des Indes ne sont que des larves de Langoustes. Mais les êtres naissants qui deviennent, plus tard, des Langoustes, se dérobent à l’observation, en allant se cacher au large ; on n’a encore pu suivre le développement complet que chez les Homards, qui ont été suivis jusqu’à la vingtième mue, c’est-à-dire pendant quatre ans.

Le succès obtenu dans les viviers de Concarneau promet de grands avantages à l’industrie, qui pourra ainsi entrer en possession de véritables greniers d’abondance. Déjà, on expédie des Langoustes de Concarneau aux marchés français, et d’autres réservoirs tendent à s’établir sur nos côtes. Nous ne citerons que celui de M. de Crésoles, à l’île Tudy, lequel mesure 70 hectares et contient en ce moment plus de 75 000 Langoustes.

L’institution du vivier-laboratoire, transformé par M. Coste, en une sorte de basse-cour aquatique, est devenue le signal d’une série de créations industrielles, qui seront à la fois des fabriques de substances alimentaires, des instruments d’exploitation et de repeuplement de la mer. N’est-ce pas là un des plus beaux triomphes de la science sur la nature vivante, et une gloire pour notre pays d’avoir eu l’initiative de cette entreprise ?

En terminant cet historique, nous ne pouvons nous empêcher de rappeler combien ont été confirmées aujourd’hui ces paroles prophétiques de Lacépède : « Les eaux, écrivait cet illustre naturaliste, n’offriront plus de tristes solitudes, mais paraîtrons animées par des myriades de poissons propres à nourrir l’homme et les animaux qui lui sont utiles, et à fertiliser les champs ingrats, en donnant à l’agriculture un engrais abondant. »