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moyen le plus sûr et le plus facile pour l’empoissonnement des rivières… et ces deux pêcheurs paraissent avoir été les premiers à le mettre en pratique chez nous…… »

Le savant doyen de la Faculté des sciences de Paris terminait en demandant que l’on entreprît une grande expérience d’empoissonnement des eaux de la France, et il proposait au Ministre de charger de ce travail les deux pêcheurs de la Bresse, comme la récompense la plus digne, la meilleure, la plus nationale, que le gouvernement pût accorder à leur zèle et à leur habileté.

Dans un rapport fait en 1848, à la Société philomathique, M. de Quatrefages rendit une entière justice aux deux modestes observateurs. Nous reproduirons quelques passages de ce travail, qui compléteront l’histoire des découvertes successives de Remy et Géhin, et achèveront de donner une idée nette de l’ensemble de leurs procédés.

« Remy et Géhin, dit M. de Jahelger, avaient, à élever les jeunes poissons éclos entre leurs mains et à se créer des réserves, des espèces de pépinières où ils pourraient emmagasiner leurs produits pour les écouler au besoin. Ici commençait tout un ordre nouveau de difficultés. Si MM. Géhin et Remy avaient opéré sur des espèces herbivores, sur des Carpes, par exemple, la tâche aurait été bien simplifiée ; les carpillons auraient trouvé dans la vase et sur les bords d’un étang ou d’un ruisseau une nourriture toute préparée. Mais nos pêcheurs élevaient des Truites, et à ces poissons carnassiers il fallait une nourriture appropriée à la fois à leur âge et à leurs instincts. Ce problème assez difficile fut également résolu à la suite d’expériences fondées sur l’observation. MM. Géhin et Remy avaient vu les petites Truites se nourrir, au moment de leur naissance, de la substance mucilagineuse qui entoure les œufs. Ils songèrent d’abord à leur faire une nourriture analogue et leur donnèrent du frai de grenouilles, ce qui réussit fort bien.

« Quand les truitons devenus plus forts demandèrent une nourriture plus substantielle, leurs éleveurs eurent d’abord recours à la viande hachée… mais plus tard ils recoururent à un procédé bien plus ingénieux et qui mérite réellement l’épithète de scientifique. Pour nourrir leurs petites Truites, ils semèrent à côté d’elles d’autres espèces de poissons, plus petites et herbivores ; celles-ci s’élèvent et s’entretiennent elles-mêmes aux dépens des végétaux aquatiques. À leur tour, elles servent d’aliment aux Truites qui se nourrissent de chair. Dans la rivière de MM. Géhin et Remy tout se passe donc maintenant comme dans la nature entière. Ces pêcheurs sont arrivés à appliquer à leur industrie une des lois les plus générales sur lesquelles reposent les harmonies naturelles de la création animée. »

M. de Quatrefages demandait, comme M. Milne-Edwards, que le gouvernement chargeât Remy et Géhin de vulgariser, de populariser leurs procédés.

Le pêcheur Remy a donc le premier, en France, pratiqué sur une vaste échelle la fécondation artificielle et l’éclosion des œufs de truites, par un procédé renouvelé de celui de Jacobi. Il nous reste à dire quelles furent les récompenses accordées par le gouvernement à celui qui avait su créer ainsi, à peu de frais, une source inépuisable de substance alimentaire vivante.

Ces récompenses furent assez médiocres. Le Ministère de l’agriculture alloua 2 000 francs, comme encouragement ou indemnité à partager annuellement entre les deux pêcheurs. On donna à Remy un bureau de tabac dans un village de 1 200 âmes ; en sorte qu’il fut obligé de quitter les rives de la Bresse, et d’y faire deux ou trois voyages par an, pour surveiller ses pêcheries. Remy était alors vieux et infirme. Géhin fut mieux traité. Des allocations annuelles lui furent accordées, et il fut, en outre, chargé de missions pratiques, convenablement rémunérées par l’État.


CHAPITRE VI

progrès de la pisciculture après 1848. — m. coste prend en main la direction des travaux de pisciculture. — origine des travaux de m. coste sur l’embryogénie et la pisciculture. — le chirurgien delpech ; sa vie et sa mort.

La publicité immense qui fut donnée, en France, par la presse scientifique et politique, aux succès obtenus par les pêcheurs de la