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tres de long sur 30 à 35 cent. de large ; on ménage aux deux extrémités une ouverture ayant 16 à 17 cent. en carré, et fermée par un grillage serré. On garnit le fond de cette caisse de sable et de gravier bien propre, puis on place cet appareil sur le bord d’un ruisseau d’eau vive, de manière à ce qu’un filet d’eau de 1 pouce de hauteur environ le parcoure assez lentement. On a ainsi une sorte de ruisseau artificiel, à l’abri de toute invasion venant du dehors. On étale alors sur le gravier des œufs de saumon fécondés ; on referme la caisse, et de temps à autre on a soin de nettoyer les œufs en agitant légèrement l’eau avec les barbes d’une plume, pour chasser le moindre dépôt limoneux, qui, en s’attachant à leur surface, compromettrait le succès de l’opération. Au bout de trente à quarante jours, selon la température, les petits Saumons sortent de l’œuf ; ils vivent quelque temps dans la caisse, et la quittent plus tard pour gagner le ruisseau voisin, lequel doit aboutir à un vivier ou à un étang. Si celui-ci est disposé convenablement, les petits Saumons s’y arrêtent et y prennent leur développement ultérieur. Le comte de Golstein assure avoir obtenu, dans une seule expérience, 430 Saumoneaux, qui lui ont servi à empoissonner plusieurs viviers. On comprend que le même procédé pourrait s’appliquer à l’élève de tous les poissons d’eau vive.

« Si je ne me trompe, il y a dans ce qui précède les indications nécessaires pour donner naissance à une industrie toute nouvelle, au moins en France. Les petits Saumons vivent très-bien dans les eaux douces jusqu’à l’âge de deux ou trois ans ; à cette époque, ils ont atteint une taille de 35 à 40 cent., et sont fort estimés à cause de la délicatesse de leur chair…

« En effet, pour que les fécondations réussissent, il n’est pas nécessaire que les poissons employés soient vivants. M. Golstein a fécondé les œufs d’une truite morte depuis quatre jours, et cela avec un plein succès. Il est probable que la liqueur fécondante conserve également ses propriétés longtemps après la mort des mâles. C’est là, du moins, un fait que j’ai bien des fois vérifié sur des invertébrés. De plus, les petits poissons, après leur éclosion, se nourrissent pendant un temps assez long aux dépens de la substance vitelline renfermée dans leurs intestins. Les Saumons, en particulier, paraissent n’avoir besoin d’aliments venant du dehors, qu’au bout d’un mois ou six semaines. On voit qu’aux autres avantages présentés par le procédé dont nous parlons, il faut joindre celui de faciliter la dissémination des espèces…

« L’emploi des fécondations artificielles, appliqué et perfectionné par l’expérience, donnerait certainement un jour une impulsion toute nouvelle à l’industrie des étangs, et rendrait annuel un produit nécessairement irrégulier et tout au plus triennal. On sait, en effet, que trois ans de repos au moins sont nécessaires pour qu’un étang pêché puisse se repeupler. C’est là un inconvénient grave ; pour y remédier, il faudrait partager l’étang en trois ou quatre compartiments d’une égale grandeur, communiquant entre eux au moyen d’écluses. Le plus petit de ces parcs serait disposé pour faire éclore les œufs et élever le fretin ; chaque année on chasserait les poissons d’un compartiment dans l’autre, jusque dans le dernier, qui pourrait être ainsi pêché à fond tous les ans, et immédiatement rempoissonné par les individus renfermés dans l’avant-dernier parc. Des réserves placées sur les côtés permettraient, d’ailleurs, de conserver les poissons qu’on voudrait laisser vieillir[1] ».

Les conclusions de M. de Quatrefages avaient été justifiées et confirmées d’avance. En effet, une réclamation de priorité élevée par M. le docteur Haxo, à propos du mémoire de M. de Quatrefages, fit connaître les résultats obtenus depuis 1843 par deux pêcheurs de la Bresse, et excita un vif étonnement parmi tous les naturalistes. Nous avons donc à parler maintenant des efforts et des remarquables résultats obtenus par ces deux modestes observateurs.


CHAPITRE V

études et travaux de deux pêcheurs de la vallée des vosges, remy et géhin.

Joseph Remy était un pauvre pêcheur de la rivière de la Bresse, Il vivait dans l’arrondissement de Remiremont, dans la partie la plus élevée du canton de Saussure. La Truite, jadis commune dans les ruisseaux de ces montagnes, tendait de plus en plus à disparaître, et Joseph Remy était menacé d’abandonner un état qui semblait ne plus offrir pour lui de ressources suffisantes. Cependant il se roidit contre les difficultés. Il voulut connaître les causes de la disparition des Truites, et tâcher de remédier au mal. Pour y réussir, il se mit, pour ainsi dire, en contact intime avec la nature, et, à force de l’interroger, elle finit par lui répondre. Il savait que, vers la mi-novembre, la

  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences de Paris, 1848, 2e semestre, p. 413-416.