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La lagune de Comacchio, qui s’étend près de la mer Adriatique, a été transformée, depuis un temps fort reculé, en une véritable fabrique de substance alimentaire, par de pauvres pêcheurs, qui faisaient de la pisciculture sans le savoir. Nous allons essayer de donner une idée de cette industrie, et de montrer comment, grâce à leur expérience séculaire, les pêcheurs et les habitants de Comacchio sont parvenus à transformer ce rivage en un véritable et inépuisable appareil d’exploitation de matières alimentaires.

La lagune de Comacchio est située sur les bords de l’Adriatique, entre l’embouchure du Pô et le territoire de Ravenne, à 44 kilomètres de Ferrare. Elle a 140 milles de circonférence, et se partage en quarante bassins, entourés de digues, qui communiquent plus ou moins directement, avec les eaux de la mer.

Les pêcheurs de Comacchio conçurent sans doute l’idée de leur industrie en découvrant l’habitude propre à certaines espèces de poissons, de remonter les cours d’eau, peu de temps après leur naissance, puis de regagner la mer quand ils sont adultes. Au mois de février, au mois d’avril, d’innombrables légions d’anguilles et autres poissons, cheminent contre les courants qui descendent de la lagune, et quittent spontanément les eaux des rivières limitrophes pour entrer dans ces bassins. Pour laisser passer la montée, les pêcheurs de Comacchio ouvrent les écluses qui ferment ordinairement les communications de la lagune avec deux branches du Pô, le Reno et le Volano, et laissent tous les passages libres jusqu’à la fin d’avril. Pour s’assurer si la montée est abondante ou médiocre, les pêcheurs font descendre des fascines au fond des cours d’eau, et, les remontant de temps en temps, ils jugent par le nombre de jeunes poissons qui y demeurent attachés, de la richesse des bataillons qui viennent envahir ces parages.

Au bout de deux ou trois mois, ce phénomène extraordinaire de la montée a cessé. Alors les pêcheurs abaissent les écluses, et la lagune est convertie en un bassin parfaitement clos. Là vivent alors et grandissent tous les poissons retenus prisonniers : les Soles, qui, couchées sur la vase, font la chasse aux vers et aux insectes ; — les Muges, qui poursuivent activement les animaux plus faibles qu’eux, mais qui se nourrissent surtout de plantes marines ou des matières organiques qui les couvrent ; — les Anguilles, qui creusent sous la vase de petits canaux à deux ouvertures, dont l’une laisse passer la tête et l’autre la queue de l’animal ; enfin les Acquadelles, poissons nains, qui forment dans la lagune des bancs immenses, auxquels les Anguilles font une guerre acharnée.

Tous ces divers poissons se trouvent si bien dans l’enclos de la lagune, qu’ils ne semblent pas s’apercevoir de leur captivité, et ne cherchent réellement à sortir de leur prison qu’à l’âge adulte.

Alors le même instinct qui les avait poussés à se réfugier dans ces bassins, les suscite à les abandonner. C’est dans les mois d’octobre, novembre et décembre, à la faveur des nuits les plus sombres, que les émigrations commencent. C’est alors aussi que le moment des pêches est venu. Et comme on va le voir, ce sont des pêches miraculeuses, comme celle de l’Écriture. Après avoir semé, ces laboureurs des eaux vont récolter.

L’ouverture de la pêche dans la lagune est un grand événement pour la ville de Comacchio. Les pêcheurs adressent des prières à saint Gratien, le patron de la colonie ; un prêtre bénit les champs d’exploitation. On ouvre les écluses, pour que les eaux de l’Adriatique puissent pénétrer librement jusque dans les bassins. Comme le niveau des eaux a baissé dans la lagune pendant les chaleurs de l’été, et que, par conséquent, leur