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treprise industrielle. « Nec gulæ causâ, sed avaritiæ, » ajoute Pline dans le passage de son Histoire naturelle que nous avons cité plus haut. Le degré de perfection auquel sa manufacture d’huîtres était arrivée, était tellement célèbre en Italie, que les contemporains de Sergius disaient de lui, que si on l’empêchait d’élever des huîtres dans le lac Lucrin, il saurait bien en faire pousser sur les toits !

Le lac Lucrin n’existe plus. Le 29 septembre 1538, un tremblement de terre, phénomène fréquent dans ces lieux volcaniques, voisins des Champs phlégréens et de la solfatare de Pouzzoles, supprima la plus grande partie du lac. La plaine située entre le lac d’Averne et le Monte Barbaro, s’éleva peu à peu, et un volcan surgit, qui combla la plus grande partie du lac Lucrin, et mit à sa place le Monte Nuovo.

De ce lac, si célèbre au temps des Romains, il ne reste aujourd’hui qu’un petit étang, qui est séparé de la mer par un exhaussement du rivage.

« Ce n’est maintenant, écrivait au siècle dernier le président de Brosses, qu’un mauvais margouillis bourbeux. Ces huîtres précieuses du grand-père de Catilina, qui adoucissent à nos yeux l’horreur des forfaits de son petit-fils, sont métamorphosées en malheureuses anguilles qui sautent dans la vase. Une vilaine montagne de cendres, de charbon et de pierres ponces, qui, en 1538, s’avisa de sortir de terre, tout en une nuit, comme un champignon, a réduit ce pauvre lac dans le triste état que je vous raconte[1]. »

Mais l’industrie que Sergius Orata avait fondée, n’a pas péri avec le lac Lucrin. Elle a été transportée à peu de distance de cet emplacement.

Non loin du cap Misène, se trouve un étang salé, d’environ deux mètres de profondeur. C’est aujourd’hui le lac Fusaro, c’était l’Achéron de Virgile. C’est là que fut transportée l’industrie de la multiplication des huîtres, qui, avant la catastrophe géologique de 1538, s’était exercée dans le lac Lucrin, d’après la méthode de Sergius Orata.

Le lac Fusaro avait, dans l’antiquité, un fort mauvais renom. Virgile en a fait l’Achéron mythologique, bien que le paysage n’ait rien de la tristesse et de la désolation que comporte le séjour des morts. C’est un étang salé, ombragé d’une ceinture d’arbres magnifiques. Il a une lieue de circonférence, et une profondeur d’un à deux mètres, dans sa plus grande étendue. Son fond boueux est noirâtre, comme toutes les terres de cette région volcanique.

Comment les habitants des rives de ce lac l’ont-ils transformé en une fabrique d’huîtres ? C’est ce qu’il faut expliquer.

Les causes qui empêchent la facile reproduction des huîtres, sont les conditions défavorables que le naissain rencontre dans le sein libre de la mer, à savoir : les courants qui entraînent au loin le jeune alevin ; — l’absence de corps solides auxquels il puisse s’accrocher, pour y trouver un refuge ; — les animaux destructeurs qui en font leur proie. Les habitants des rives du lac Fusaro ont annulé toutes ces influences contraires, en emmagasinant dans ce lac, voisin de la mer, des huîtres prêtes à jeter leur frai, en retenant ces jeunes générations captives dans ce vaste bassin, et les préservant enfin des causes diverses de destruction qu’elles trouveraient dans la mer.

Sur le fond du lac et dans tout son pourtour, les riverains du Fusaro ont construit çà et là, avec des pierres jetées en tas, des rochers artificiels, assez élevés pour être à l’abri des dépôts de vase et de limon. Sur ces rochers, ils déposent des huîtres recueillies dans le golfe de Tarente.

Chaque rocher est environné d’une ceinture de pieux assez rapprochés, et s’élevant un peu au-dessus de la surface de l’eau (fig. 530). D’autres pieux sont distribués par

  1. Lettres familières écrites d’Italie en 1739 et en 1740, par le président Ch. de Brosses.