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ignoré l’existence. Nous voulons parler du combat naval d’Hampton-Road, dans lequel, pour la première fois, des navires cuirassés prirent part à un engagement. Il nous paraît indispensable de rappeler ici cet événement historique, en raison de son importance pour le sujet qui nous occupe.

Dans les premiers jours du mois de mars 1862, une partie de la flottille du Nord croisait sur la côte de la Virginie, à l’embouchure de la rivière James, pour bloquer les divers ports situés sur cette rivière. Les équipages de ces navires vivaient en parfaite sécurité à l’abri de leurs canons ; mais les chefs ne partageaient point cette confiance, sur l’avis qui leur avait été transmis de l’arrivée probable du Merrimac.

Le Merrimac n’était qu’un vieux navire en bois, l’un de ceux qui avaient été coulés dans le port de Norfolk, le 10 avril 1861, pour obstruer l’entrée de ce port, au moment où les forces du Nord l’évacuaient.

Retirée de l’eau, cette frégate avait été rasée à un mètre de la flottaison, et transformée en un navire cuirassé, en la recouvrant d’une toiture métallique, qui s’enfonçait de chaque côté, d’un mètre sous l’eau ; en armant ses batteries de canons de 12 pouces, et sa proue d’un éperon de fer, pour attaquer et éventrer la carcasse des navires de bois. La destination de cette nouvelle machine de guerre maritime, c’était d’aller attaquer dans les ports, et d’y mettre en pièces, les navires de bois de la marine fédérale. Elle offrait les dimensions suivantes :

Longueur à la flottaison 
79m,40
Largeur 
15m,00
Tirant d’eau 
7m,20
Poids 
4 000 tonn.
Puissance de la machine 
510 chev.

Ce n’était donc pas sans raison que les commandants des six frégates fédérales, y compris le magnifique Cumberland, un des plus beaux navires de l’Union américaine, redoutaient la visite qui leur était annoncée. Ces craintes ne devaient d’ailleurs que trop se réaliser.

Dans la journée du 8 mars 1862, on vit descendre à toute vapeur, sur la rivière James, une masse flottante, presque informe, sans un seul matelot à l’extérieur, et ne trahissant la direction et la volonté humaines, que par l’énorme panache de fumée noire qui s’échappait de la cheminée de sa machine. À une plus grande distance, dans la rivière, suivaient deux autres navires cuirassés, le Yorktown et le Jamestown.

Le Merrimac était à peine arrivé à la portée des canons de la flottille du Nord, que les six navires fédéraux, réunissant leur feu, l’accueillaient par la décharge de toutes leurs pièces. Cette grêle de projectiles, cette pluie de fer et de feu, aurait vingt fois traversé de part en part, et comme percé à jour, un navire de bois. Le Merrimac supporta sans broncher cette avalanche de mitraille : les boulets rebondissaient sur sa robuste carapace, comme des pois lancés contre un mur. Toutefois, le choc de toute cette artillerie fut si terrible pour le Merrimac, que sa marche en fut un instant arrêtée ; mais la machine à vapeur avait seule subi quelque dommage ; la cuirasse métallique était restée intacte. Au bout de peu de minutes, le petit dérangement de l’appareil à vapeur était réparé, et le navire de fer se préparait à faire, à son tour, usage de ses canons.

Il choisit le Cumberland pour sa première victime. Sans s’inquiéter de la grêle de boulets qui continuait à pleuvoir sur lui, il s’approcha du Cumberland, de manière à diriger contre lui ses deux canons d’avant, et tira à la hauteur de la ligne d’eau. Ensuite il se précipita, à toute vapeur, sur la frégate, et enfonça dans ses flancs de bois son éperon de fer. Gagnant le large après ce terrible abordage, le Merrimac canonna de nouveau le Cumberland, et jeta une seconde fois contre lui son énorme masse lancée à toute vapeur. Le