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bien doué paralyser l’initiative des autres. La vitesse avant tout, la facilité de manœuvres par toutes les circonstances de navigation, se présentent donc comme des conditions essentiellement requises pour le navire de guerre vraiment marin.

Le choc par l’éperon, et l’usage de l’artillerie, sont les deux modes d’agression entre deux navires cuirassés. Quelles doivent être les parts de l’un et de l’autre moyen d’attaque dans un combat ? Les opinions des marins sont partagées à cet égard. Ce qui est indubitable, en fait d’artillerie, c’est qu’on est forcément conduit à n’armer un navire que de bouches à feu puissantes, en les réduisant, s’il le faut, à un très-petit nombre, car des canons d’un calibre médiocre ne feraient, de près comme de loin, que disséminer les munitions, sans ébranler sensiblement la cuirasse de l’ennemi. On peut croire qu’entre navires cuirassés, en raison de l’incertitude du tir au loin, l’engagement de près est le seul vraiment sérieux. Beaucoup pensent même que, si un bâtiment est supérieur en rapidité et mobilité, mieux vaut pour lui courir sus résolument à l’ennemi et le frapper de son éperon, que de dépenser son temps au pointage, toujours douteux, de son artillerie, bonne seulement à inquiéter au loin, à opérer une diversion, ou à frapper durant la chasse, si le bâtiment menacé se met à fuir. Mais ce n’est pas ici le lieu d’approfondir ces questions militaires ; nous n’avons pas, d’ailleurs, la compétence nécessaire pour prononcer en de telles matières.

Si un navire ne peut avoir que quelques-uns de ces puissants et lourds canons modernes, les disposer tous, selon l’ancienne coutume, aux sabords d’une batterie, chacun ne pouvant embrasser que des angles peu ouverts, ce serait condamner le navire à un champ de tir bien limité. Ainsi est née l’obligation de rechercher, pour ces formidables bouches à feu, en nombre restreint, des aménagements spéciaux.

Pour les navires sans mâture, la tourelle est la disposition qui s’est assez naturellement rencontrée dans cet ordre d’idées. Protégé par une tour cylindrique cuirassée, un canon a tout l’horizon pour champ de tir, s’il est monté sur une plaque tournante, ou si la tourelle elle-même est pivotante.

Mais la différence est grande entre ce qu’on doit exiger du bâtiment destiné à croiser en haute mer et à y faire la guerre d’escadre, et ce qui peut convenir à un garde-côtes. Or, c’est avec le caractère dominant de garde-côtes, que nous apparaissent les premières applications des idées du capitaine Cooper Coles, c’est-à-dire les Monitors qui furent construits en 1861 par l’Américain Éricsson, pour les nécessités de la guerre de sécession.

Armer une sorte de radeau d’une ou de plusieurs pièces du plus fort calibre, capables de battre tout l’horizon ; associer cet armement avec le principe de la protection par la cuirasse, tel est l’objet que poursuivirent séparément et presque simultanément Éricsson, en Amérique, et le capitaine Coles, en Angleterre. Il est assez difficile de décider lequel des deux produisit ses idées le premier. Pourtant on sait que c’est en 1855 que le capitaine Coles proposa son plan de radeau à coupoles. Il supprima d’abord les coupoles sphériques et fixes ; il les rendit mobiles, en 1859, à l’instigation de Brunel. L’année suivante, sur les avis de M. Scott Russel, il les fit coniques, et enfin cylindriques. D’autre part, on sait que dès le mois de septembre 1854, Éricsson avait présenté un plan de bâtiment à tourelle mobile, et que ce fut lui qui, en 1861, construisit le fameux Monitor à tourelles cylindriques et tournantes.

Le rôle que joua le Monitor, au printemps de 1862, dans un épisode célèbre de la guerre d’Amérique, attira l’attention générale et donna une grande notoriété aux constructions navales cuirassées, dont le public européen et américain avait jusque-là à peu près