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dans les circonstances particulières où l’on se trouvait, d’avoir un très-faible tirant d’eau, de porter une artillerie considérable par le calibre, et surtout de maintenir cette artillerie à l’abri de toute attaque, grâce à une cuirasse de fer qui devait rester impénétrable aux boulets ennemis.

La longueur de chaque batterie flottante était de 53 mètres, son poids total d’environ 1 500 tonneaux. Son artillerie se composait de 16 canons de 50 livres, pouvant lancer à volonté des boulets pleins ou des obus. L’équipage était de 300 hommes. La machine à hélice, relativement faible, n’était que de 150 chevaux nominaux.

La figure 391 représente une de ces batteries flottantes, la Congrève.

On connaît le triomphe militaire qui couronna les premiers essais de nos batteries flottantes.

Le 18 octobre 1855, la Congrève, la Dévastation et la Lave s’arrêtèrent en face des murailles de Kinburn. Tout à coup, au milieu d’un nuage de fumée, jaillissent de leurs sabords, des projectiles explosifs. L’ennemi, qui examinait avec curiosité ces masses menaçantes, reconnaît bien vite aux terribles entailles qu’elle fait dans ses murs, une nouvelle machine de guerre. Mais c’est en vain qu’il riposte ; ses boulets ricochent sur cette carapace de fer, qu’ils ne peuvent entamer. Les défenseurs de Kinburn avaient pris tout d’abord, nos batteries flottantes pour de gros bateaux de transport, pour des chalands, mais ils furent promptement et cruellement tirés de cette erreur d’appréciation.

Le plan des batteries flottantes exécutées en France, avait été communiqué au gouvernement anglais, qui en fit mettre aussitôt cinq en construction, quatre chez M. Scott Russel et une à Millwall, où elle fut brûlée, par accident, sur chantier. Entièrement semblables aux nôtres, les batteries anglaises devaient agir de concert avec celles-ci, dans les opérations qu’entreprendraient contre les Russes les gouvernements alliés. Deux d’entre elles, le Meteor et le Trusty, reçurent en effet l’ordre d’opérer en Crimée ; mais elles ne rejoignirent l’escadre de l’amiral Lyons que plusieurs jours après que les nôtres eurent démantelé le fort de Kinburn.

Nos batteries flottantes cuirassées, nous l’avons dit, n’étaient pas faites pour naviguer. Elles étaient dépourvues de ces qualités de formes qui permettent à une construction flottante de tenir la mer et d’avoir de la vitesse : il fallait les remorquer sur le lieu du combat. Mais en tant que machines de guerre, une fois embossées, elles firent brillamment ressortir l’efficacité du principe de la construction des batteries flottantes blindées. L’attaque du 18 octobre 1855 contre Kinburn, fut, en effet, concluante. En trois heures, les forts russes étaient démantelés. Nos batteries étaient embossées à environ 250 mètres de la place, et les Russes tiraient contre elles, avec des boulets et des obus de 24 et de 32. La Tonnante reçut dans sa coque 66 boulets, et n’eut que 9 servants de pièces blessés, par deux coups qui avaient pénétré par l’embrasure. La Dévastation fut touchée 64 fois. Trois obus pénétrèrent par ses sabords, et mirent 13 hommes hors de combat. La Lave n’eut qu’un homme blessé ; elle fut d’ailleurs moins souvent atteinte, et aucune de ses plaques ne fut assez endommagée pour avoir besoin d’être changée.

Les rapports des commandants, MM. de Montaignac, de Cornulier et Dupré, étaient concluants en faveur de l’efficacité des nouveaux engins de guerre.

« L’expérience, disait M. Dupré, me paraît concluante ; elle justifie pleinement les expériences sur le nouveau mode de revêtement dont on n’a fait sur ces batteries que le premier essai. Qu’on les rende navigantes, pouvant aller seules au feu par tout temps, qu’on les rende maniables, habitables, et on aura opéré dans la marine militaire une révolution radicale. »

Cette révolution allait s’accomplir, et elle