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(Moniteur du 26 mai 1868) un rapport plein d’intérêt sur les résultats des essais de tir avec le nouveau fusil. D’après ce rapport, le fusil Chassepot peut tirer, sans viser, 14 coups par minute, et en visant, 10 coups par minute. Il porte à 1 000 mètres, plus sûrement que l’ancien fusil ne portait à 400 mètres. À cette énorme distance, un soldat quelque peu expérimenté met 24 balles sur 100 dans une cible. Une armée de 20 000 hommes, munie de cette machine destructive, pourrait tirer, par minute, 280 000 coups, et coucher par terre 56 000 ennemis, si le tir du champ de bataille était aussi précis que le tir à la cible.

Avec cette arme prodigieuse, la victoire et la défaite pourront être décidées en quelques minutes. Une vingtaine de feux de file termineront une bataille. On s’attaquera à un quart de lieue de distance, sans presque se voir. Avant qu’on ait pu s’approcher, les nouveaux fusils auront fait leur œuvre d’extermination : l’ennemi, épouvanté et décimé, sera mis en fuite. Ainsi, le canon lui-même est dépassé, et les soldats, on peut le dire, ont la foudre en main.

Le rapport du maréchal Niel sur lequel s’appuient ces étonnantes conclusions, a une grande importance dans la question qui nous occupe. Nous croyons devoir, en conséquence, mettre la plus grande partie de ce document sous les yeux de nos lecteurs. Dans ce genre de questions, les chiffres, les résultats précis, forment seuls l’opinion ; c’est donc sur les chiffres qu’il faut insister.

Le rapport du maréchal Niel à l’Empereur a pour but de résumer l’ensemble des résultats obtenus depuis que la transformation de notre armement est devenue un fait accompli. Après quelques mots d’introduction, l’auteur du rapport s’exprime en ces termes :

« Commencée au mois de septembre 1866, mais à titre d’essai, par le bataillon de chasseurs à pied de la Garde impériale qui avait été désigné pour procéder aux premières expériences, la remise du nouveau fusil dans les corps de la Garde ne date réellement que de la fin du mois de mars 1867.

« Successivement étendue aux divers corps d’infanterie de la ligne, au fur et à mesure de l’avancement de la fabrication, cette opération considérable s’est terminée au mois d’avril 1868, c’est-à-dire dans un laps de temps qui n’excède pas une année.

« Quelque récente que soit encore, surtout pour beaucoup de corps d’infanterie de la ligne, l’époque de la mise en service du nouveau fusil, les épreuves déjà faites permettent cependant d’asseoir, dès à présent, l’opinion sur sa valeur réelle comme arme de guerre.

« Sa portée réglementaire efficace est de 1 000 mètres et peut facilement atteindre à 1 100 mètres.

« Le projectile, animé d’une vitesse initiale de 410 mètres à la seconde, parcourt une trajectoire assez tendue pour qu’à la distance de 230 mètres elle ne s’élève pas à plus de 0m,50 au-dessus de la ligne de mire, tension qui constitue l’une des conditions les plus favorables à l’efficacité du tir.

« Par suite de la simplicité et de la promptitude du chargement que l’homme peut exécuter avec la même facilité dans toutes les positions, à genou, assis, couché, aussi bien que debout, les soldats arrivent à tirer 7, 8 et même 10 coups par minute en visant, et jusqu’à 14 coups sans viser.

« Il n’est pas inutile de rappeler ici que pour l’ancien fusil d’infanterie le maximum de portée efficace n’a jamais dépassé 600 mètres avec une vitesse initiale de 324 mètres à la seconde seulement ; et c’est à peine si dans les conditions normales d’un tir régulier le soldat bien exercé pouvait tirer plus de deux coups par minute, avec une arme dont le chargement par la bouche, ne pouvant s’exécuter que dans la position debout, le contraignait en outre à se découvrir en toutes circonstances.

« Ainsi : augmentation considérable, presque double de l’ancienne, dans la portée du tir, accroissement du tiers dans la vitesse du projectile, tension beaucoup plus grande de la trajectoire ; telles sont, jointes à une rapidité de tir inconnue jusqu’alors, les qualités essentielles que révèle tout d’abord la pratique du fusil modèle 1866.

« Au point de vue de la précision, ses avantages ne sont pas moins satisfaisants.

« J’ai fait faire avec soin le relevé des séances consacrées au tir à la cible dans les différents corps depuis qu’ils sont en possession du nouveau fusil.

« L’armement n’ayant pu être distribué à la même époque dans tous les corps de l’armée, cette partie de l’instruction, dont le degré d’avancement est nécessairement proportionnel au temps écoulé depuis la mise en service de l’arme, n’est en quelque sorte que commencée pour un assez grand nombre de corps d’infanterie de la ligne. Et cependant, dès les débuts, les premiers résultats signalés se montrent déjà très-sensiblement supérieurs à ceux obtenus avec