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qui mérite d’attirer l’attention des physiciens, et sur laquelle, en 1866, M. le baron Séguier a beaucoup insisté, avec raison, devant l’Académie des sciences.

Dans le fusil prussien, le feu est mis à la poudre, comme on vient de le dire, en haut de la charge de poudre, par l’explosion d’une capsule, qui détone sous le choc de l’aiguille. Derrière la cartouche, et autour de la gaine dans laquelle marche l’aiguille, on a ménagé une petite chambre à air, de forme annulaire[1].

Cette chambre à air jouerait, suivant M. Séguier, un rôle considérable. Elle empêcherait les gaz produits par la poudre, de se dégager tumultueusement hors du canon. Elle amortirait le premier choc des gaz, et rendrait leur expansion moins brusque. L’inventeur du fusil à aiguille ne se rendait peut-être pas bien compte à lui-même de l’importance de ce détail de son arme. En effet, la chambre à air a été successivement adoptée et supprimée dans les divers modèles du fusil prussien.

M. Regnault a très-clairement expliqué, en 1866, devant l’Académie des sciences, au point de vue de la théorie, les avantages que présente, selon lui, le mode d’inflammation de la poudre employé dans le fusil prussien.

Quand on enflamme la poudre par le bas de la cartouche, les gaz provenant de la combustion chassent hors du canon une partie de la poudre, qui, de cette manière, n’est pas brûlée, ou qui ne brûle qu’au dehors, sans utilité pour l’effet à produire. Lorsque, au contraire, on enflamme la poudre par le haut, c’est-à-dire près de la balle, de façon à faire brûler cette poudre d’avant en arrière et avec lenteur, les gaz ne se forment que progressivement, et la balle, au lieu de recevoir une impulsion unique et brusque, reçoit une série d’impulsions successives et croissantes. Par ce procédé, la poudre brûle en totalité dans l’intérieur du canon, et pas un grain n’en est perdu.

C’est ainsi qu’il faut se rendre compte, selon M. le baron Séguier, d’une partie des avantages du fusil prussien. Dans ce fusil, en effet, il existe, comme nous venons de le dire, derrière la charge, une chambre assez vaste. Dans cet espace libre, les gaz provenant de la combustion de la poudre se logent, pour un certain temps, et vont de là exercer progressivement leur action sur le projectile. Cette disposition a le grand avantage d’éviter la projection hors du canon d’une partie de la poudre non brûlée qui accompagne le projectile, quand on enflamme, comme à l’ordinaire, la poudre d’arrière en avant.

Elle a encore l’avantage de maintenir la poudre non encore brûlée dans la partie la plus comprimée, et par suite la plus chaude, des gaz contenus dans le canon, ce qui favorise à la fois sa combustion complète et son maximum d’effet mécanique.

Les fusils ordinaires lancent du feu par le canon ; ce qui veut dire qu’une flamme se produit à l’extérieur, par suite de la combustion de la poudre, qui, projetée en dehors, s’enflamme en arrivant dans l’air et brûle alors en pure perte. Les fusils à aiguille ne donnent qu’une traînée blanchâtre ; on ne voit pas de feu à la sortie du canon, même si l’on tire dans la cave la plus obscure. Moins de bruit, point de feu d’artifice, mais plus d’énergie, voilà ce qui distingue ces nouvelles armes.

Ainsi la théorie justifie sur presque tous les points et explique les avantages des armes à aiguille, c’est-à-dire l’inflammation intérieure de la charge par une composition fulminante.


  1. Le capitaine Delvigne insiste depuis trente ans sur les avantages de cette chambre à air, ou espace vide laissé derrière la cartouche.