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tures assez fréquentes des pièces, et le danger de faire éclater l’obus dans l’âme, par suite du dégagement de chaleur produit par la pression et le frottement. En y réfléchissant, on ne trouve pas une grande différence entre les conditions d’un obus franchissant les étranglements du canon Armstrong, et du même obus qui aurait à traverser une cuirasse métallique ; et l’on s’étonne que la moitié des pièces ainsi construites n’éclate pas au moment du tir.

Une disposition particulière de la rayure peut encore concourir au forcement : sa largeur, au lieu de rester la même depuis le tonnerre jusqu’à la bouche, diminue assez rapidement à un point quelconque du parcours. La partie de métal mou enveloppant le projectile, qui s’était adaptée à la partie large est obligée de se couper sur la ligne oblique de raccord, et de refouler les couches avoisinantes de même métal. Une méthode équivalente consiste à diminuer la profondeur de la rayure. Parfois aussi ces deux modes de rayure sont combinés.

Les rayures de cette espèce sont appelées en Angleterre schunt ; en France, elles sont dites fuyantes ou doubles.

Big-Will (Gros-Guillot), que représente, porté sur son affût spécial, la figure 332 (page 452), pèse 23 tonnes, est long de 4m,5, et a 34 centimètres de calibre. Les rayures, au nombre de dix, ne font qu’un pas sur 2 mètres. Il se charge, non par la culasse, comme les premiers canons de sir Armstrong, mais par la bouche. Son projectile ordinaire pèse 272 kilogrammes, et a 0m,76 de longueur. Il faut 27 kilogrammes de poudre pour le charger ; mais il peut supporter une charge allant jusqu’à 45 kilogrammes.

Dans les expériences de tir, qui furent faites à Shœburyness, en 1862, contre les blindages des navires, Big-Will perça un grand nombre de cibles que les canons de 300 n’avaient pas pu entamer. Malheureusement les charges excessives auxquelles on le soumit, finirent par le faire éclater.

Le capitaine Fishbourne fit le compte que chaque coup tiré par Gros-Guillot, coûtait environ 1 500 francs !

Les défauts capitaux du système Armstrong sont la cherté de la matière première et de la main-d’œuvre, et la mollesse du métal employé. Au bout d’un petit nombre de coups, l’âme s’agrandit, se déforme, puis des fissures intérieures apparaissent, qui, gagnant les couches successives, finissent par rompre la pièce à l’extérieur.

Le porte-lumière est un organe très-coûteux, qui ne dure pas, en moyenne, plus d’une trentaine de coups.

Malgré les résultats auxquels Armstrong était parvenu, son canon n’était donc pas admissible en pratique.

Aussi, dans ces derniers temps, la cherté des pièces de la culasse et la mollesse du métal composant la bouche à feu, avaient amené Armstrong à ne plus construire que des canons se chargeant par la bouche. Il renonçait, de cette manière, au système si laborieusement étudié par lui, du chargement par la culasse.

L’abandon forcé fait par sir William Armstrong du système de chargement par la culasse, mais surtout les succès du canon Whitworth, qui, avec des dimensions bien moindres, avait percé des cuirasses de fer que les canons Armstrong n’avaient pu briser, ébranlèrent la confiance que l’Angleterre avait mise dans les talents de cet ingénieur. Jusque-là le pays et le gouvernement l’avaient comblé d’honneurs. On lui avait confié la direction de la fabrication de tout le matériel de l’artillerie. Il avait eu des sommes énormes à la disposition de son esprit inventif, et il les avait dépensées largement. Mais de nouveaux talents avaient surgi, et le dépassaient : c’était Whitworth, dont les canons perçaient les cibles cuirassées que les obus d’Armstrong n’arrivaient plus