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centre de figure ; mais au bout de quelques tours, la résistance de l’air aura encore bientôt empêché ce mouvement anormal.

Enfin, si l’on suppose que le boulet n’est pas exactement sphérique, on pourra observer les déviations du plan vertical décrites par Robins.

La déviation sera due à ce que la résistance de l’air passant par le centre de figure, tandis que la face vide du boulet peut être considérée comme appliquée au centre de gravité, le boulet suivra la direction de la résultante de ces deux forces. Elle ne peut pas naître du mouvement de rotation ; au contraire, le mouvement de rotation tendrait à l’empêcher, et c’est le cas de la rayure en hélice, parce qu’elle fait passer le centre de gravité successivement par tous les points d’une circonférence perpendiculaire à l’axe, qu’ainsi elle tend à produire également la déviation dans tous les sens, et, par conséquent, ne la produit dans aucun.

Fig. 298. — Euler.

Euler tombait dans une contradiction manifeste en prétendant, d’une part, que la résistance de l’air était assez forte pour arrêter le mouvement de rotation d’un projectile sphérique ; et d’autre part, qu’elle suffit à produire ce mouvement de rotation dans le cas du projectile irrégulier. Il se trompait encore en croyant que la résultante de l’action des gaz de la poudre passe par le centre du boulet ; il ne tenait pas compte du vent de l’arme.

Une dernière erreur consistait à admettre que le projectile de forme irrégulière pourrait demeurer pendant son trajet, dans une position telle que son centre de figure et son centre de gravité se trouveraient sur une même ligne fixe, ne coïncidant pas avec la trajectoire.

Cependant aux yeux des hommes de cette époque, Euler était une autorité suprême. Il eut donc raison contre Robins. La confiance qu’inspirait Euler, le mathématicien illustre que Berlin et Pétersbourg se disputaient, était telle, que l’on accepta les yeux fermés la réfutation qu’il avait entreprise des idées de Robins, et la condamnation qu’il avait portée contre les canons rayés.

Pendant tout un siècle, personne ne songea donc à entrer dans la voie que Robins avait ouverte. Précisément à cause de leur savoir, les hommes les plus instruits se trouvaient alors les plus opposés au progrès. C’est au xixe siècle qu’il appartenait de rendre justice aux travaux du physicien anglais. C’est de nos jours seulement que les prodiges accomplis par les canons rayés ont justifié les idées de Robins et la prédiction remarquable que son génie avait si nettement formulée.