Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



hommes de guerre de ce temps pensaient-ils que les armes rayées n’étaient supérieures aux armes lisses que parce qu’elles avaient plus de portée totale.

Robins s’attacha à réfuter cette erreur. Il montra même, par ses expériences avec le pendule balistique dont on lui doit l’invention, que la balle sortie d’une arme rayée, à égalité de calibre et de charge, avait moins de vitesse initiale que la balle partie d’une arme lisse. Il fallait nécessairement conclure de là que les balles forcées avaient moins de portée et moins de force de percussion que les balles lancées sans aucun artifice.

De nos jours les armes rayées portent plus loin que les autres, d’abord parce que le projectile n’étant plus forcé par le choc d’un maillet, à la manière ancienne, sa face antérieure, sur laquelle la résistance de l’air s’exerce, n’est pas aplatie, mais reste conique ; ensuite parce que la forme cylindro-conique des balles permet de leur donner plus de masse que la forme sphérique, et par conséquent plus de force vive à égalité de surface antérieure.

Robins était loin sans doute de prévoir toute la révolution que les armes rayées devaient accomplir un jour dans l’artillerie. Cependant le passage suivant, de son Traité de mathématiques, contenant les nouveaux principes de l’artillerie[1], renferme une prédiction vraiment extraordinaire.

« Il est évident par la nature de ces canons, dit l’auteur, qu’on ne peut s’en servir qu’avec des balles de plomb, et que, par conséquent, on ne peut les employer à lancer des bombes et des boulets ; néanmoins, en partant du principe qui leur donne tant d’avantages sur les autres, on pourrait trouver quelque méthode applicable à des projectiles plus pesants.

«… La nation chez qui l’on parviendra à bien comprendre la nature et l’avantage des canons rayés, où l’on aura la facilité de les construire, où les armées en feront usage et sauront les manier avec habileté, cette nation, dis-je, acquerra sur les autres une supériorité, quant à l’artillerie, égale à celle que pourraient lui donner toutes les inventions qu’on a faites jusqu’à présent pour perfectionner les armes quelconques ; j’ose même dire que ses troupes auront par là autant d’avantages sur les autres, qu’en avaient de leur temps les premiers inventeurs des armes à feu, suivant ce que nous rapporte l’histoire. »

Cette prédiction de Robins, notre siècle l’a vue s’accomplir de tous points.

Dans son Traité, Robins conseille de diminuer le poids de la charge de poudre alors en usage, parce que ses expériences lui avaient montré qu’une grande augmentation de la vitesse initiale ne procure qu’une petite augmentation de portée. Nous avons vu, en effet, combien est grande la résistance de l’air aux grandes vitesses des projectiles. En outre, une forte charge de poudre nécessite une grande épaisseur de métal, ce qui rend l’artillerie pesante et d’un transport difficile ; et si l’on ne veut pas augmenter le poids du canon, l’effet du recul met bientôt l’affût hors de service.

La théorie de Robins sur les armes rayées était à peine publiée qu’un mathématicien célèbre de ce temps, Euler, entreprit d’en contester la justesse. Ses objections étaient appuyées de nombreux calculs, et de considérations assises sur les régions les plus élevées des mathématiques. On peut les résumer ainsi.

Un boulet parfaitement sphérique, ayant son centre de gravité à son centre de figure, ne peut recevoir de la décharge aucun mouvement de rotation sur lui-même, parce que la résultante de la poussée du gaz de la poudre passe par son centre de figure.

Quand même il serait en état de rotation, la résistance de l’air arrêterait promptement ce mouvement gyratoire.

Si le centre de gravité du boulet ne coïncide pas avec le centre de figure, l’action de la poudre pourra lui communiquer un mouvement de rotation, et pendant son trajet il arrivera que le centre de gravité passera alternativement en avant et en arrière du

  1. Traduit de l’anglais par Dupuis. Grenoble, 1771.