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contenant de la poudre, et divers autres accessoires.

C’est là le document qui, d’après M. Favé, permet de fixer vers l’année 1480, l’époque de l’invention des tourillons.

Le point d’implantation des tourillons relativement à l’axe de la pièce et à son centre de gravité, est de la plus grande importance. Si ce point d’appui est établi de telle sorte que la partie antérieure de la pièce soit aussi lourde que la partie postérieure, le canon sera trop mobile autour de ce point d’appui, et il se prêtera mal aux manœuvres d’élévation et d’abaissement pour le pointage. Le défaut serait plus grand encore si l’avant était plus lourd que l’arrière ; il faut donc que le poids de la partie postérieure du canon l’emporte sur celui de la portion antérieure. Gribeauval fixa plus tard cette prépondérance à un trentième du poids de la pièce.

Si les tourillons étaient implantés au-dessus de l’axe géométrique du canon, pendant le tir, la volée tendrait à relever la culasse, laquelle ensuite retomberait de tout son poids sur le mécanisme du pointage, et ne tarderait pas à le détériorer. Des secousses pourraient encore se manifester, si, abaissant les tourillons, on les place juste au niveau de l’axe. En les mettant au-dessous, la culasse au moment de la décharge tendra à appuyer sur l’appareil de pointage, et la stabilité de la pièce sera ainsi assurée.

La découverte des tourillons constitue, avons-nous dit, le plus grand progrès de l’artillerie, et ce perfectionnement réalisé vers la fin du xve siècle, surpasse en importance tout ce qui avait été fait avant cette époque, comme aussi peut-être tout ce qui a été fait depuis. Cependant aucun perfectionnement, considéré sous un certain aspect, n’est jamais exempt de quelque désavantage. Les bouches à feu portées sur les tourillons eurent un inconvénient. Elles conduisirent à faire abandonner les chargements par la culasse, et voici comment. Les pièces à tourillon permirent d’augmenter de beaucoup la puissance de la charge de poudre. Mais quand on tirait avec les anciennes bouches à feu, composées de deux parties, que l’on adaptait au moment de mettre le feu à la pièce, c’est-à-dire composées de la chambre, ou âme mobile, et de la volée, il arrivait, par suite de l’imperfection de cet ajustement, qu’au moment de l’explosion de la poudre, les joints de l’âme et ceux de la volée cédaient, et donnaient passage aux gaz. Quelquefois même, après quelques coups, la culasse mobile ne s’adaptait plus exactement à la volée, et la pièce était ainsi hors d’état de servir. À partir de l’invention des tourillons, les veuglaires et la plupart des canons à chambre mobile, durent être abandonnés : on fut obligé de faire les canons tout d’une pièce et de les charger par la gueule. Les bouches à feu à culasse mobile ne furent conservées que sur les vaisseaux. Ce qui rend ce dernier point incontestable, c’est que les seules et rares armes se chargeant par la culasse, que l’on possède encore dans les musées d’artillerie, et qui datent de cette époque, ont été retrouvées dans les ports de mer, ou vers les embouchures des fleuves.

L’artillerie de Charles-le-Téméraire est, pour l’histoire, un document précieux, parce qu’elle fut construite presque tout entière, au moment de l’invention du tourillon, et qu’elle marque ainsi la transition entre les deux périodes. Les batailles de Granson et de Morat firent tomber entre les mains des Suisses vainqueurs, un grand nombre de ces pièces, qui furent réparties entre les villes suisses confédérées. Les habitants de Neuveville ont conservé les canons qui leur échurent en partage, et le musée d’artillerie de cette petite cité, est pour l’historien moderne, une réunion de types d’une autorité irrécusable et d’une grande valeur.

Charles-le-Téméraire, duc de Bourgogne, avait réuni l’artillerie la plus nombreuse et la plus forte qu’on eût encore vue. Une partie de ce matériel de guerre lui avait été lé-