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pour but de supporter tout le poids du canon, en le tenant en équilibre par ces deux points latéraux. Le canon acquiert, de cette manière, une mobilité excessive dans le sens vertical, et le pointage dans ce sens s’opère avec la plus grande facilité, en faisant basculer la pièce sur son axe, l’axe étant maintenu au moyen d’un coin de bois, ou par tout autre moyen, dans la position voulue. Quant au pointage, dans le sens horizontal, il est facilement réalisé par le déplacement des roues du canon.

Les tourillons qui favorisent si bien le pointage dans le sens vertical, ont encore l’avantage de n’opposer aucune résistance à la force du recul. Grâce à la mobilité de la pièce sur son tourillon, et grâce à sa mobilité sur les roues, les effets du recul ne sont nullement à craindre.

Nous ne dirons rien, en conséquence, que de très-exact, en affirmant que la découverte des tourillons fut le plus grand progrès que l’artillerie eût reçu depuis sa création.

Cette découverte ne se fit pas tout d’un coup. Elle fut amenée par une suite de perfectionnements dans l’art de fabriquer les canons. C’est cette suite de perfectionnements que nous allons essayer de mettre en lumière.

Entre l’année 1460 et l’année 1480, l’art du fondeur avait fait de tels progrès, en Europe, qu’on était arrivé, peu à peu, à couler en bronze de beaux canons, plus résistants que ceux en fer forgé. On avait commencé, comme nous l’avons vu, par fondre les petites pièces, dont la fabrication était plus facile par la coulée en bronze ; puis successivement, en perfectionnant les alliages et le manuel de l’art, on arriva à produire des canons tels, que sous un volume de beaucoup inférieur à celui des grandes bombardes, ils produisaient, avec leur projectile métallique, des effets bien plus redoutables.

En présence de ce résultat, on essaya de couler en bronze de très-grandes bouches à feu ; mais leur résistance ne répondit pas à ce que l’on attendait : dès qu’on dépassait un certain calibre, ou une certaine longueur, la pièce éclatait, par suite de la lourdeur du boulet de fonte.

On aurait pu, à la vérité, charger ces gros canons, analogues aux anciennes et grosses bombardes, avec les boulets de pierre ; mais les canons de moyenne grandeur, qui lançaient leur boulet métallique à une plus grande portée, tirant plus vite et produisant plus d’effet destructeur, étaient, dans tous les cas, préférables aux grandes bombardes du milieu du xve siècle. Ces pièces primitives furent donc à jamais abandonnées.

De nos jours ces énormes canons tendent à reparaître. C’est que nous possédons des moyens de transport qui manquaient dans les siècles qui ont précédé le nôtre, et que déjà à cette époque, l’une des conditions principales du succès dans les guerres, était la célérité des mouvements de l’artillerie.

Ce ne fut pas sans de nombreux accidents et de graves dangers pour les servants des pièces, que la nouvelle artillerie parvint à s’établir. La limite de résistance de la bouche à feu était trop voisine de l’effort qu’on lui donnait à supporter, cette limite était trop variable et trop difficile à connaître, pour que l’on fût jamais bien sûr de la solidité de la pièce. Les registres de dépenses des villes sont remplis, à cette époque, de comptes pour le remplacement de coulevrines et de canons brisés dans les arsenaux et dans les fonderies, autant que dans les combats.

Les canons en fer forgé avaient cet avantage que, quand ils éclataient, ils se fendaient suivant la longueur, en donnant passage, par cette ouverture, aux gaz de la poudre. Cette explosion était peu dangereuse pour les servants des pièces, et le mal pouvait être facilement réparé. Au contraire, un canon de bronze, quand il crève, vole en éclats meurtriers, qui s’éparpillent de tous côtés, et tuent les malheureux artilleurs.

Quoi qu’il en soit, le fer fut abandonné vers 1480, dans la construction des bouches à feu.