Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

qu’en 1325, cette ville possédait des canons fondus lançant des balles de fer. C’est le plus ancien des documents retrouvés jusqu’à ce jour concernant les bouches à feu.

Les comptes des consuls de Cahors établissent qu’en l’an 1345, vingt-quatre canons furent fondus dans cette ville. Leur approvisionnement de poudre n’était guère que de trois livres pour chacun. Ils devaient donc être de fort petit calibre.

Les Anglais n’ont adopté qu’après nous la poudre à canon ; ils ont cependant sur tous les peuples de l’Europe l’avantage d’avoir les premiers employé l’artillerie en rase campagne. On sait l’usage funeste qu’ils en firent contre nous à la journée de Crécy, le 26 août 1346. Selon la Chronique de Saint-Denis, le roi Philippe de France venant à l’encontre des Anglais, ceux-ci « tirèrent trois canons, d’où il arriva que les arbalétriers génois, qui étaient en première ligne, tournèrent le dos et cessèrent le combat. » L’historien Villani ajoute que les Anglais lançaient de petites balles de fer, pour effrayer les chevaux :

« Le roi d’Angleterre ordonna à ses archers, dont il n’avoit pas grand nombre, de faire en sorte avec les bombardes de jeter des boules de fer avec du feu pour effrayer et disperser les chevaux des François… Les bombardes menoient si grande rumeur et tremblement, qu’il sembloit que Dieu tonnât, avec grande tuerie de gens et déconfiture de chevaux. »

Selon Villani, le désordre des Français arriva surtout par suite de l’embarras des corps morts laissés par les Génois ; toute la campagne était jonchée de chevaux et de gens renversés, tués ou blessés par les bombardes et les flèches.

Le revers éprouvé par les troupes françaises à la journée de Crécy, fut attribué à l’emploi des bouches à feu ; et ce fait, qui produisit une grande sensation, eut pour résultat de faire adopter l’artillerie à feu par toutes les nations militaires de l’Europe. Jusque-là, le canon n’avait encore agi que contre les édifices et les murailles des villes ; son emploi contre les hommes avait rencontré, dans l’Occident, les plus vives répugnances. Pour les guerriers du Moyen-Age, c’était une félonie que d’employer à la guerre ces armes perfides, qui permettaient au premier vilain de tuer un brave chevalier, qui donnaient au timide et au lâche le moyen d’attaquer, à couvert et à distance, le plus intrépide combattant. Au xiie siècle, le second concile de Latran, dont les décisions faisaient loi pour toute la chrétienté, avait défendu l’usage des machines de guerre dirigées contre les hommes, comme « trop meurtrières et déplaisant à Dieu. » Christine de Pisan, qui a composé sous Charles VI, un excellent traité de l’art de la guerre, parle du feu grégeois et des compositions analogues usitées de son temps, comme d’un moyen déloyal et indigne d’un chrétien. Enfin, on peut rappeler à ce sujet, le serment exigé, au Moyen-Age, des artilleurs allemands.

« L’artilleur jure de ne point tirer le canon de nuit ; de ne point cacher de feux clandestins…, et surtout de ne construire aucuns globes empoisonnés ni autres sortes d’inventions, et de ne s’en servir jamais pour la ruine et la destruction des hommes, estimant ces actions injustes autant qu’indignes d’un homme de cœur et d’un véritable soldat[1]. »

Les Anglais, qui, à toutes les époques, ont marché sans scrupules vers tout ce qui peut contribuer à servir leurs desseins, furent les premiers à fouler aux pieds l’opinion de leur temps. L’exemple une fois donné, les autres nations n’hésitèrent plus à entrer dans cette voie, et ne tardèrent pas à élever leurs ressources militaires à la hauteur de celles de leurs voisins. Aussi voit-on, après la bataille de Crécy, l’usage des armes à feu se généraliser en France et se répandre bientôt dans toute l’Europe. À dater de cette

  1. Siemenowitz, Grand Art de l’artillerie, p. 299.