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les silhouettes qu’il exécutait en recevant sur une feuille de papier, enduite de chlorure d’argent, les images formées dans la chambre obscure. Il avait sans cesse devant les yeux ce résultat matériel et visible de la possibilité de fixer les images de la chambre noire, et il se disait ; « J’irai plus loin ! je fixerai définitivement ces fugitives empreintes ! »

Daguerre employait donc tous les instants de loisir que lui laissaient ses occupations et ses travaux du Diorama, à étudier les procédés et les moyens physiques ou chimiques, propres à conserver et à rendre durables les images de la chambre noire. C’est dans ce but qu’il fréquentait, comme nous l’avons vu, l’atelier et la boutique de Charles Chevalier. Aucune semaine ne se passait sans qu’il allât consulter cet opticien, sur les appareils dont il faisait usage, ou sur les moyens de procéder à ses expériences.

« Il était fort rare, dit Charles Chevalier, qu’il ne vînt pas une fois par semaine à notre atelier. Comme on le pense bien, le sujet de la conversation ne variait guère, et si parfois on se laissait aller à quelque digression, c’était pour revenir bientôt, avec une ardeur nouvelle, à la disposition de la chambre obscure, à la forme des verres, à la pureté des images[1]. »

Il était écrit que la boutique de l’opticien du quai de l’Horloge, serait le théâtre de tous les événements qui préparaient la venue et la création de la photographie. On vient de voir que Daguerre y fut mis en rapport avec le mystérieux inconnu, qui avait emporté avec lui son secret. Nous allons dire maintenant comment ce fut dans cette même boutique, que Daguerre connut les travaux de Nicéphore Niépce, avec lequel il devait contracter plus tard une association ayant pour but la poursuite de leurs découvertes respectives.

Pendant que Daguerre s’occupait, à Paris, avec la plus grande ardeur, d’approfondir le problème pratique de la fixation des images de la chambre obscure, Nicéphore Niépce continuait, à Châlon, le même ordre de recherches. Mais ils ignoraient l’un et l’autre cette communauté de travaux. Le peintre parisien, qui se flattait de parvenir à fixer les images de la chambre noire, ne connaissait pas l’existence de l’officier en retraite qui s’occupait du même problème, dans sa maison de campagne des bords de la Saône. Ce fut Charles Chevalier qui les mit en rapport. Peu de temps après la visite du jeune homme que nous avons racontée, c’est-à-dire au mois de décembre 1825, Daguerre revint chez Charles Chevalier, tout rayonnant de joie :

« J’ai réussi, s’écria-t-il, j’ai saisi la lumière au passage, et je l’ai enchaînée. J’ai forcé le soleil à peindre des tableaux ! j’ai fixé l’image de la chambre obscure ! »

Malgré ses exclamations enthousiastes, Daguerre aurait été fort en peine de prouver ce qu’il annonçait. Comme il ne montrait aucun spécimen à l’appui de ses affirmations, on prenait ses dires comme le résultat de son exaltation de chercheur. Peut-être avait-il, en effet, réussi à obtenir une image ; il n’y avait pas de raison sérieuse de douter de ses paroles, mais sans doute il avait échoué pour la fixer à jamais. La captive s’était évanouie ; elle était remontée vers la source suprême d’où elle émanait.

Charles Chevalier avait regardé jusque-là comme assez chimériques toutes les idées de Daguerre ; mais l’aventure du jeune inconnu l’avait fait réfléchir. Dans les derniers jours du mois de janvier 1826, comme Daguerre revenait encore devant lui sur son sujet favori, il lui dit :

« Outre notre jeune homme de la rue du Bac, il y a encore, en province, une personne qui se flatte d’avoir obtenu, de son côté, le même résultat que vous. Peut-être feriez-vous bien de vous mettre en rapport avec elle.

— Et quel est cet heureux émule ? demanda Daguerre

— Voici, reprit Chevalier, ce qui s’est passé

  1. Guide du photographe. Paris, 1854, in-8 « (Souvenirs historiques, page 18).