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l’indigo, ce produit était cher et d’un emploi limité. Dans ces derniers temps, on est parvenu à le préparer très-facilement en oxydant par l’acide azotique, d’abord l’huile brute de houille, ensuite l’acide phénique, matière aujourd’hui à très-bas prix dans le commerce.

L’acide picrique fut découvert en 1788, par un chimiste manufacturier de Colmar, Jean-Michel Haussman, en traitant l’indigo par l’acide azotique. C’est ce qui lui fit donner à cette époque le nom d’amer d’indigo.

Quelques années plus tard, l’an III de la République (1795), le chimiste Welter obtint le même produit en traitant la soie par l’acide azotique. L’amer d’indigo prit alors le nom d’amer de Welter. Ce fut Welter qui constata le premier les propriétés explosives de cette substance. On lit, en effet, le passage suivant dans le mémoire de Welter.

«……… Le lendemain, je trouvai la capsule tapissée de cristaux dorés, qui avaient la finesse de la soie, qui détonaient comme la poudre à canon, et qui, à mon avis, en auraient produit l’effet dans une arme à feu. La fumée qui résulta de cette détonation ressemblait à celle d’une résine brûlée[1]. »

Étudié successivement par Proust, Fourcroy et Vauquelin, l’amer d’indigo, ou de Welter, fut l’objet d’un mémoire de M. Chevreul, lu à l’Institut le 17 avril 1809, et publié, pendant la même année, dans les Annales de chimie. M. Chevreul exposait, dans ce mémoire, une théorie chimico-physique de la détonation de ce composé.

Malgré ces travaux, la composition de l’amer d’indigo était toujours demeurée inconnue. Ce n’est qu’en mars 1828 que M. Liebig publia dans les Annales de physique et de chimie, un mémoire sur la composition de l’acide carbazotique. Tel est, en effet, le nom que M. Liebig substitua à ceux d’acide amer, d’amer d’indigo et d’amer de Welter que ce produit avait portés jusque-là.

C’est M. Dumas qui, le premier, donna la formule chimique de ce corps, auquel il conserva le nom d’acide carbazotique (c’est-à-dire composé de carbone et d’azote), de préférence à celui de nitro-picrique (de πιϰρὀς, amer) proposé par Berzelius[2].

C’est à l’éminent chimiste Laurent qu’il était réservé de trouver la véritable formule rationnelle de l’acide carbazotique. Laurent démontra que l’acide carbazotique dérive de l’acide phénique, et que l’on peut le considérer comme de l’acide phénique, dans lequel trois équivalents d’hydrogène sont remplacés par trois équivalents d’acide hypoazotique. De là les noms d’acide trinitro-phénique ou nitro-phénisique proposés par Laurent pour le composé qui nous occupe.

Dans ces derniers temps, c’est-à-dire vers 1865, MM.  Désignolle et Castelhaz sont parvenus à préparer industriellement l’acide carbazotique par la méthode signalée par Laurent, et qui consiste à traiter l’acide phénique par l’acide azotique. L’acide phénique étant à très-bas prix dans le commerce, il en est résulté que l’acide carbazotique, qui valait 30 francs le kilogramme en 1862, quand on le préparait en traitant par l’acide azotique l’huile brute de houille, ne vaut aujourd’hui que 10 francs le kilogramme.

L’acide carbazotique est d’un beau jaune-citron. Il cristallise en lamelles très-allongées et très-brillantes. Il est peu soluble dans l’eau, sa saveur légèrement acide est franchement amère. À 150 degrés il entre en fusion, puis se sublime sans être altéré. Se combinant à peu près avec toutes les bases, il donne naissance à des sels jaunes et cristallisés pour la plupart. Son pouvoir colorant est considérable : 1 gramme de cette substance suffit pour teindre en jaune-paille 1 kilogramme de soie.

Le carbazotate de potasse, d’une belle couleur jaune d’or, cristallise en petites aiguilles prismatiques, qui appartiennent au système rhomboïdal, et possèdent un reflet métal-

  1. Annales de physique et de chimie, tome XXIX, page 301.
  2. Annales de physique et de chimie, t. LII, p. 178.