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la nature même. Si ce n’était pas de la naïveté, c’était l’éloge le plus désintéressé que pût rêver un artiste ; mais Daguerre n’en abusa pas :

« Venez me voir, tant que vous voudrez, dit-il au jeune enthousiaste, mais ne travaillez pas ici : on ne copie pas des copies. Pour étudier sérieusement, allez dans la campagne. »

Daguerre faisait ses tableaux de mémoire. Il avait exposé le Diorama de la forêt Noire, prise de nuit, par un clair de lune. Sur le premier plan, était un feu, abandonné sans doute par des voleurs ; et cette vue faisait courir, parmi les spectateurs, un frisson d’effroi. On se croyait en pleine forêt, par une nuit obscure, et l’on s’imaginait que quelque voleur était encore caché dans les taillis. Daguerre était là, entendant les sourdes exclamations qu’arrachait l’admiration, ou la crainte involontaire et vague, d’un danger imaginaire.

« Comment avez-vous pu, lui demanda quelqu’un, peindre vos esquisses la nuit, au milieu d’une forêt.

— Je n’ai pas fait d’esquisse sur les lieux, répondit Daguerre. Je me suis promené une nuit, seul dans la forêt, et de retour à Paris, j’ai peint ma Forêt Noire de souvenir. »

Les peintres voyaient dans cette exécution de mémoire un tour de force, qu’aurait pu seul accomplir Horace Vernet, cet improvisateur extraordinaire, à qui il suffisait d’avoir vu une fois une scène ou une personne, pour les représenter sur la toile.

Le succès de son diorama et la juste réputation qu’il en retirait, auraient suffi à la fortune et à l’ambition d’un autre : Daguerre voulut aller plus loin.

Il faisait un usage constant de la chambre obscure, pour certaines études d’éclairage de son Diorama. Aucun tableau n’est plus ravissant, aucune vue n’est plus harmonieuse, que ceux qui viennent se former sur l’écran d’une chambre obscure. C’est la nature colorée et vivante. Daguerre s’était écrié cent fois, en contemplant les tableaux qui se succédaient sur la glace dépolie de sa chambre obscure :

« Ne réussira-t-on jamais à fixer des images aussi parfaites ! »

Cette idée séduisante, ce désir presque fantastique, ce rêve de l’impossible, avaient fini par s’emparer de son imagination, et par la subjuguer. Il avait assisté aux cours du professeur Charles, et il avait admiré, comme tous les auditeurs de ce physicien si écouté,

    vivacité, l’une rouge et l’autre verte à peu près de la même valeur, faites traverser à la lumière qui devra les éclairer un milieu rouge, tel qu’un verre coloré, la couleur rouge réfléchira les rayons qui lui sont propres et la verte restera noire. En substituant un milieu vert au milieu rouge, il arrivera au contraire que le rouge restera noir, tandis que le vert réfléchira la couleur verte. Mais ceci n’a complètement lieu que dans le cas où le milieu employé refuse à la lumière le passage de tous ses rayons, excepté un seul. Cet effet est d’autant plus difficile à obtenir entièrement, qu’en général les matières colorantes n’ont pas la propriété de ne réfléchir qu’un seul rayon ; néanmoins, dans le résultat de cette expérience, l’effet est bien déterminé.

    Pour en revenir à l’application de ce principe aux tableaux du Diorama, bien que dans ces tableaux il n’y eût effectivement de peints que deux effets, l’un de jour peint par devant, et l’autre de nuit peint par derrière, ces effets, ne passant de l’un à l’autre que par une combinaison compliquée des milieux que la lumière avait à traverser, donnaient une infinité d’autres effets semblables à ceux que présente la nature dans ses transitions du matin au soir, et vice versa. Il ne faut pas croire qu’il soit nécessaire d’employer des milieux d’une couleur très-intense pour obtenir de grandes modifications de couleur, car souvent une faible nuance suffit pour opérer beaucoup de changement.

    « On comprend, d’après les résultats qui ont été obtenus au Diorama par la seule décomposition de la lumière, combien il est important d’observer l’état du ciel pour pouvoir apprécier la couleur d’un tableau, puisque les matières colorantes sont sujettes à des décompositions si grandes. La lumière préférable est celle d’un ciel blanchâtre, car lorsque le ciel est bleu, ce sont les tons bleus et en général les tons froids qui sont les plus puissants en couleur, tandis que les tons colorés restent ternes. Il arrive au contraire, lorsque le ciel est coloré, que ce sont les tons froids qui perdent de leur couleur, et les tons chauds, le jaune et le rouge par exemple, qui acquièrent une grande vivacité. Il est facile de conclure de là que les rapports d’intensité des couleurs ne peuvent pas se conserver du matin au soir ; on peut même dire qu’il est physiquement démontré qu’un tableau ne peut pas être le même à toutes les heures de la journée. C’est là probablement une des causes qui contribuent à rendre la bonne peinture si difficile à faire et si difficile à apprécier, car les peintres, induits en erreur par les changements qui s’opèrent du matin au soir dans l’apparence de leurs tableaux, attribuent faussement ces changements à une variation dans leur manière de voir, tandis qu’ils ne sont souvent causés que par la nature de la lumière. »