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lancer un projectile au moyen de la poudre à canon :

« Description de la drogue à introduire dans le madfaa avec sa proportion. — Baroud, dix ; charbon, deux drachmes ; soufre, une drachme et demie. Tu le réduiras en poudre fine et tu rempliras un tiers du madfaa ; tu n’en mettras pas davantage, de peur qu’il ne crève ; pour cela, tu feras faire, par le tourneur, un madfaa de bois, qui sera pour la grandeur en rapport avec sa bouche ; tu y pousseras la drogue avec force, tu y ajouteras, soit le bondoc, soit la flèche, et tu mettras le feu à l’amorce. La mesure du madfaa sera en rapport avec le trou ; s’il estoit plus profond que l’embouchure n’est large, ce seroit un défaut. Gare aux tireurs ! fais bien attention[1]. »

Dans ce passage, l’instrument qui reçoit la poudre est appelé madfaa ; c’est le nom qui sert quelquefois, chez les Arabes, à désigner le fusil. La poudre est composée de dix parties de salpêtre, de deux parties de charbon, et d’une partie et demie de soufre. On ne remplit de poudre que le tiers du madfaa, de peur qu’il ne crève. Par-dessus la poudre on mettait un bondoc, c’est-à-dire une javeline, ou bien une flèche. Les figures qui sont jointes au texte, représentent, selon MM. Reinaud et Favé, un cylindre assez court porté sur un long manche qui fait suite à son axe. Cet instrument ressemble beaucoup aux massues incendiaires connues sous le nom de massues à asperger.

Voici un autre passage du même manuscrit de Pétersbourg, qui contient la description d’une arme à feu analogue à la précédente :

« Description d’une lance de laquelle, quand tu te trouveras en face de l’ennemi, tu pourras faire sortir une flèche qui ira se planter dans sa poitrine. — Tu prendras une lance que tu creuseras dans sa longueur, à une étendue de quatre doigts à peu près ; tu foreras cette lance avec une forte tarière, et tu y ménageras un madfaa ; tu disposeras aussi un pousse-flèche en rapport avec la largeur de l’ouverture ; le madfaa sera de fer. Ensuite tu perceras sur le côté de la lance un petit trou ; tu perceras également un trou dans le madfaa : puis tu prendras un fil de soie brute que tu attacheras au trou du madfaa ; tu le feras entrer par le trou qui est sur le côté de la lance. Tu te procureras, pour cette lance, une pointe percée à son sommet de manière que, lorsque tu tireras, le madfaa pousse fortement la flèche, par la force de l’impulsion que tu auras communiquée ; le madfaa marchera avec le fil, mais le fil retiendra le madfaa de manière à l’empêcher de sortir de la lance avec la flèche. Quand tu monteras à cheval, ainsi armé, tu auras soin de te munir d’un troussequin : c’est afin que la flèche ne sorte pas de la lance. »

Il s’agit ici, selon MM. Reinaud et Favé, d’une lance disposée de telle manière que, lorsqu’on était en face de son ennemi, il en sortait un trait qui allait lui percer le sein. Pour cela on logeait dans la lance un madfaa de fer, qui recevait la poudre. Une flèche, dont la grosseur était proportionnée à l’ouverture, était introduite dans le creux de la lance, pour en sortir au moment favorable.

Les instruments dont la description est rapportée dans ces deux passages du manuscrit arabe de Pétersbourg, représentent donc des armes à feu imparfaites. Ils paraissent former la transition entre les instruments purement incendiaires employés chez les Grecs et les Arabes d’Afrique au xiiie siècle, et les armes à feu proprement dites, dans lesquelles on met à profit la force expansive de la poudre pour lancer au loin des projectiles meurtriers.

Ces premières armes à feu étaient destinées à agir de très-près et presque par surprise, car cette espèce de lance ne pouvait projeter qu’à une très-faible distance, en raison de l’impureté de la poudre, la javeline, la flèche ou le projectile quelconque qu’elle contenait.

La poudre placée dans le madfaa, pour projeter une aveline ou une flèche, au lieu d’une pelote de composition incendiaire, constituait une innovation sans importance apparente. Le nom de l’auteur de cette découverte est donc resté tout à fait inconnu, et personne n’a pu se douter que dans le madfaa des Arabes, il pût y avoir le germe de nos armes à feu.

Chez les écrivains arabes du xive siècle, les effets explosifs de la poudre se distinguent

  1. Reinaud et Favé, des Feux de guerre.