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« Prends, dit Albert, une livre de soufre, deux livres de charbon de saule, six livres de salpêtre et pulvérise ces trois substances très-intimement dans un mortier de marbre. Ensuite, tu l’introduiras quand tu le voudras dans une enveloppe de papier, pour en faire un feu volant, ou le tonnerre, à volonté. L’enveloppe pour le feu volant doit être longue, mince et pleine de cette poudre pour faire l’explosion seule (le tonnerre) l’enveloppe doit être courte, grosse et à demi pleine[1]. »

Il restera démontré, après ces explications et ces textes authentiques, que le nom de Roger Bacon ou celui d’Albert le Grand, son contemporain, ont été, bien à tort, mêlés à l’histoire de l’invention de la poudre à canon. Ils n’ont fait, l’un et l’autre, qu’emprunter à Marcus Grœchus leur contemporain[2] les formules et les recettes des mélanges incendiaires, qui étaient employés à la guerre pendant le moyen âge.


CHAPITRE III

naissance de la poudre à canon au xive siècle. — ses premiers usages. — invention des bouches à feu.

Nous arrivons à l’époque où les compositions incendiaires des Arabes vont subir la transformation qui doit produire la poudre à canon des temps modernes.

Ce n’est qu’au xive siècle que fut observée d’une manière positive, la force de projection des poudres salpêtrées. Les Arabes avaient appris des Chinois à mélanger le salpêtre avec le charbon et le soufre. Cependant cette espèce de poudre ne pouvait produire encore tous les effets de l’explosion ; elle fusait, mais ne détonait pas. Aussi ne l’employait-on que pour rendre plus vive la combustion des mélanges incendiaires, ou tout au plus pour servir d’amorce. Le salpêtre préparé par les Arabes, était, en effet, assez impur ; il renfermait plusieurs sels étrangers, et particulièrement du sel marin. Or, la présence de ces sels non combustibles avait pour résultat de retarder l’inflammation du mélange ; dès lors il ne pouvait que fuser, c’est-à-dire que sa combustion, au lieu de se faire brusquement et sur toute la masse à la fois, ne se propageait que lentement et de place en place. L’expansion des gaz provenant de cette combustion, n’avait pas assez de puissance pour chasser un projectile. Cependant, au xive siècle, le progrès des arts chimiques, chez les Arabes, permit de mieux purifier le salpêtre, et de le débarrasser des matières étrangères non combustibles ; ce sel put dès ce moment provoquer tous les phénomènes de l’explosion, et l’on put l’appliquer à lancer au loin des projectiles.

Une grande incertitude a longtemps régné sur l’époque où l’on vit se réaliser la découverte des propriétés explosives de la poudre, et sur la contrée qui, la première, fut le théâtre de cette observation capitale qui devait peser d’un si grand poids dans les destinées du monde. D’après des documents mis en lumière par MM. Reinaud et Favé, c’est aux Arabes qu’appartiendrait cette découverte. Ces savants auteurs ont trouvé dans un manuscrit arabe de la bibliothèque de Pétersbourg, qui remonte au xive siècle, la description de certaines armes à feu, extrêmement imparfaites, et qui, en raison de cette imperfection même, semblent marquer les débuts de la découverte et de l’application de la force de projection de la poudre.

Voici un passage de ce manuscrit dans lequel il s’agit évidemment d’une manière de

  1. « Accipe libram unam sulphuris, libras duas carbonum salicis, libras sex salis petrosi ; quæ tria subtilissime terantur in lapide marmoreo. Postea aliquid posterius ad libitum in tunicà de papyro volante vel tonitruutn faciente ponatur.

    « Tunica ad volandum debet esse longa, gracilis, pulvere illo optimo plena ; ad faciendum vero tonitruum, brevis, grossa et semiplena. »

  2. Albert le Grand mourut en 1280, et Roger Bacon en 1294, autant qu’il est possible d’assigner une date fixe à la mort de cet illustre et malheureux savant. Voir dans notre ouvrage. Vies des savants illustres. Tome II, Savants du moyen âge, in-8, Paris » 1867, les biographies de Roger Bacon et d’Albert le Grand.