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Fig. 137. — Char incendiaire.


c’est une raison pour qu’il évite de revenir sur ses pas ; autrement le désordre se mettrait dans les rangs, et il s’ensuivrait une défaite. Qu’il marche sans crainte ; personne n’osera s’opposer à lui, ni avec l’épée, ni avec la lance. »

« Il est dit, à la fin du passage, ajoutent MM. Reinaud et Favé, que lorsque l’artificier s’avance vers l’ennemi, toute l’armée doit se mettre en mouvement après lui. C’était pour profiter du désordre qui ne tardait pas à se mettre dans les troupes ennemies. Une autre chose que l’auteur arabe ne dit pas, et à laquelle il fallait veiller, c’est que les matières incendiaires qui devaient jeter la terreur chez l’ennemi devaient être assez bien ménagées pour qu’on eût le temps de produire l’effet voulu avant qu’elles fussent consumées. Pour cela on mesurait la distance que l’artificier avait à franchir ; et si l’on avait des raisons de croire que l’ennemi épargnerait une partie du chemin, on tenait compte de la différence. En pareil cas, la tactique de l’ennemi consistait à déjouer ces calculs. En conséquence, il fallait que le général qui machinait cette espèce de surprise mît le plus grand mystère dans l’opération. C’est ce que fait entendre l’écrivain arabe, quand il dit que, même après que les chevaux étaient suffisamment dressés, on ne devait les revêtir du caparaçon chargé d’artifices que dans un lieu dérobé à tous les regards.

« Voici un exemple sensible de ce qui se pratiquait à cet égard. On était alors dans l’année 699 de l’hégire (1300 de J.-C.). L’armée du sultan d’Égypte en vint aux mains, aux environs d’Émèse en Syrie, avec l’armée de Gazan, khan des Mongols de Perse. Suivant l’historien arabe Makrizi, au moment où l’action allait commencer, Gazan ordonna à ses troupes de rester immobiles, et de ne bouger que lorsqu’il en donnerait le signal. Tout à coup cinq cents mamelouks égyptiens, choisis parmi les artificiers, sortent des rangs de l’armée, leur naphte allumé, et s’élancent de toute la vitesse de leurs chevaux ; mais, au bout d’un certain temps, comme les Mongols étaient restés à leur place, le naphte s’éteint, et les artificiers voient leurs espérances déçues. C’est alors que Gazan commande la charge[1]. »

La figure 137 représente un char incendiaire, d’après le même manuscrit.

La figure 138 représente, d’après le manuscrit cité plus haut, un cavalier armé de la lance à feu. L’homme et le cheval sont bardés de fer pour éviter les brûlures par les étincelles (Eques semper sit armatus totus et equus suus totus bardatus, ne a favillis ignis recipiat passionem, dit le manuscrit).

Ce ne fut point contre leurs voisins que les Arabes firent surtout usage du feu grégeois. L’art des feux de guerre avait depuis trop longtemps pris racine dans l’Asie, pour que les Orientaux n’eussent point appris de bonne heure à se préserver de leur atteinte. Le feu grégeois fut principalement dirigé contre les chrétiens, dont les croisades amenaient les incessantes irruptions sur le sol des infidèles. On connaît, par les récits des historiens de ces guerres, l’épouvante que ces moyens de combat semaient dans les rangs des croisés. Il est d’ailleurs facile de comprendre la surprise et la terreur que devaient éprouver les Occidentaux, habitués aux luttes loyales de leur pays, où le fer n’avait que le fer à combattre, lorsque tout à coup ils se trouvaient en face d’une attaque si étrange et si imprévue. Quel que soit le courage du soldat, il n’aime

  1. Du feu grégeois (Journal asiatique, 1849, no 16).