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saisie. Ce procédé était donc fort imparfait.

Niépce s’occupa ensuite d’appliquer sa découverte à l’art de la gravure ; car tel était, il faut bien le remarquer, le but qu’il se proposait dans les essais que nous venons de rapporter. En attaquant ses plaques par un acide affaibli, il creusait le métal, en respectant les traits abrités par l’enduit résineux, et formait ainsi des planches à l’usage des graveurs en taille-douce.

Il avait donc à peu près résolu le problème qu’il s’était posé dix ans auparavant, et qui consistait à créer une branche nouvelle de la gravure ou de la lithographie sur métal, dans laquelle la lumière seule produirait directement, sur une plaque métallique, un dessin qu’il suffirait ensuite d’attaquer par un acide pour rendre la plaque immédiatement propre au tirage sur papier. Niépce désignait ce nouveau procédé de gravure sous le nom d’héliographie. M. Lemaître, graveur à Paris, à qui Niépce avait confié le tirage de ses planches, possède encore quelques gravures de ce genre, que nous avons pu examiner.

On a beau cependant être homme d’habileté exquise, de patience infatigable ou d’imagination féconde, il est, dans les recherches scientifiques, quelque chose qui rend toute habileté vaine, qui déconcerte la patience la plus obstinée et qui impose une barrière à l’imagination la plus active : c’est l’imperfection de l’instrument dont l’opérateur fait usage. Tel fut l’obstacle que Nicéphore Niépce rencontra. Les lentilles que l’on appliquait, de son temps, aux chambres noires, étaient loin de réunir les conditions si remarquables de réfrangibilité qu’elles présentent de nos jours ; on ne pouvait pas alors, comme on le fait aujourd’hui, se procurer, pour un prix modique, des objectifs d’une pureté irréprochable. En outre, l’extrême longueur que l’on donnait au foyer de la lentille, faisait perdre la plus grande partie de la lumière qui traversait l’instrument. Toutes ces causes devaient empêcher l’inventeur de réaliser ses espérances. Par son procédé héliographique, on fixait sans doute les images de la chambre obscure, mais il fallait, pour arriver à ce résultat, un temps considérable : huit à dix heures d’exposition étaient nécessaires pour obtenir une épreuve, et cette circonstance suffisait pour empêcher toute application sérieuse d’un tel procédé.

C’est pour cela que, malgré dix ans d’études et d’expériences, Nicéphore Niépce n’était parvenu, en fin de compte, qu’à des résultats très-médiocres. Il avait suivi la voie ouverte par Charles en France, et Wedgwood en Angleterre. Au lieu de chlorure d’argent, dont ces deux chimistes faisaient usage, il avait employé le bitume de Judée, substance assez mal choisie, d’ailleurs, comme agent photographique, car elle ne s’impressionne qu’avec lenteur à la lumière, et les contrastes entre les blancs et les noirs sont à peine accusés. Il fallait se placer sous un jour particulier, pour apercevoir l’image, qui était toujours fort peu appréciable.

Niépce n’eut jamais aucune idée de l’existence des agents révélateurs, c’est-à-dire des substances qui font apparaître subitement l’image formée par la lumière, image qui existe à l’état latent, pour ainsi dire ensevelie dans les profondeurs de la substance, et d’où le révélateur vient les faire sortir, comme par un miracle scientifique. Ces agents révélateurs qui constituent la véritable photographie, ne furent pas même soupçonnés par lui. C’est à Daguerre qu’il fut donné d’accomplir cette magnifique découverte, et de créer ainsi la photographie. Niépce n’avait fait autre chose qu’essayer l’action directe de la lumière sur différentes substances impressionnables, et le bitume de Judée, qu’il avait choisi, était bien défavorable sous ce rapport. On ne s’explique guère qu’ayant sous la main les sels d’argent, qui s’impressionnent à la lumière avec tant de rapidité, il soit allé s’adresser à une matière résineuse qui exige pour être