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fabrication était exclusivement réservée à la famille et aux descendants de Callinique.

La préparation du feu grégeois fut mise au rang des secrets d’État, par Constantin Porphyrogénète, qui déclara infâme et indigne du nom de chrétien celui qui violerait cet ordre.

« Tu dois par-dessus toutes choses, dit l’empereur à son fils, dans son traité de l’Administration de l’Empire, porter tes soins et ton attention sur le feu liquide qui se lance au moyen des tubes ; et si l’on ose te le demander comme on l’a fait souvent à nous-même, tu dois repousser et rejeter cette prière, en répondant que ce feu a été montré et révélé par un ange au grand et saint premier empereur chrétien Constantin[1]. Par ce message et par l’ange lui-même, il lui fut enjoint, selon le témoignage authentique de nos pères et de nos ancêtres, de ne préparer ce feu que pour les seuls chrétiens, dans la seule ville impériale, et jamais ailleurs ; de ne le transmettre et de ne l’enseigner jamais à aucune autre nation, quelle qu’elle fût.

« Alors le grand empereur, pour se précautionner contre ses successeurs, fit graver sur la sainte table de l’Église de Dieu des imprécations contre celui qui oserait le communiquer à un peuple étranger. Il prescrivit que le traître fût regardé comme indigne du nom de chrétien, de toute charge et de tout honneur ; que s’il avait quelque dignité, il en fût dépouillé. Il déclara anathème dans les siècles des siècles, il déclara infâme, n’importe quel qu’il fût, empereur, patriarche, prince ou sujet, celui qui aurait essayé de violer une telle loi. Il ordonna en outre à tous les hommes ayant la crainte et l’amour de Dieu, de traiter le prévaricateur comme un ennemi public, de le condamner et de le livrer à un supplice vengeur.

« Pourtant une fois il arriva (le crime se glissant toujours partout) que l’un de nos grands, gagné par d’immenses présents, communiqua ce feu à un étranger ; mais Dieu ne put supporter de voir un pareil forfait impuni, et un jour que le coupable était près d’entrer dans la sainte église du Sauveur, une flamme descendue du ciel l’enveloppa et le dévora. Tous les esprits furent saisis de terreur, et nul n’osa désormais, quel que fût son rang, projeter un pareil crime, et encore moins le mettre à exécution. »

On observa ces injonctions sévères, et le secret de la préparation du feu grégeois resta fidèlement gardé. Quand les princes d’Occident obtinrent de Constantinople le secours de ce feu, au lieu de leur communiquer les recettes de sa préparation, on leur envoyait les navires tout appareillés du produit.

Quelle était la composition du feu grégeois ? Sous quelle forme, par quels artifices particuliers était-il employé à la guerre ?

Le feu grégeois était formé de la réunion de plusieurs substances grasses ou résineuses, d’une combustibilité excessive. Le naphte, le goudron, le soufre, la résine, l’huile, les graisses, les sucs desséchés de certaines plantes, et les métaux réduits en poudre, tels étaient ses ingrédients ordinaires. Selon des recherches particulières, publiées en 1849, par MM. Reinaud et Favé, dans le Journal asiatique, le salpêtre n’entrait point dans la composition du feu grégeois préparé chez les Grecs du Bas-Empire. Ce n’est que plus tard que les Arabes, ayant appris à retirer ce sel des terres où il se forme naturellement, eurent l’idée de l’ajouter aux matières primitives.

D’après MM. Reinaud et Favé, les recettes pour la préparation du feu grégeois sont citées pour la première fois dans un manuscrit arabe de la bibliothèque de Leyde, qui remonte à l’année 1225, et qui a pour titre : Traité des ruses de guerre, de la prise des villes et de la défense des défilés, d’après les instructions d’Alexandre fils de Philippe.

Voici quelques passages extraits de ce manuscrit arabe par MM. Reinaud et Favé, et qui renferment la réussite par la préparation du feu grégeois selon ses différentes applications.

« Feu qui brûle sur l’eau. — Tu prendras de la résine ainsi que de la paille et de la poix noire, et tu les feras cuire ensemble ; quand le mélange sera fondu, tu y verseras du naphte blanc ; ensuite tu le répandras dans de l’eau quelle qu’elle soit. Si tu veux que la flamme soit bien pure, il faut ajouter du soufre et de la colophane. »

« Drapeaux qui servent aux amusements. — Tu peux faire usage d’une lance dans la forme que je t’ai

  1. Cependant l’empereur se contredit plus loin, lorsque, dans un autre passage de son livre, il rapporte à Callinique l’invention du feu grégeois. Il justifie ainsi le jugement de Lebeau, qui appelle ce prince « un grand conteur de fables. »